Les dispositifs de surveillance et les sources de données
Publié le 18/09/2017
Les suicides des agriculteurs. Pluralité des approches pour une analyse configurationnelle du suicide.
Présentation de la thèse de Nicolas Deffontaines
Nicolas Deffontaines, doctorant en sociologie à l’Institut national de la recherche agronomique - Centre d’économie et de sociologie appliquées à l’agriculture et aux espaces ruraux (Inra - Cesaer), a soutenu sa thèse le 29 mai 2017 à la Maison des Sciences de l'Homme (MSH) de Dijon.
Son travail a bénéficié d'une collaboration avec la direction santé travail de Santé Publique France pour l'étude des données de mortalité des agriculteurs exploitants de 2007 à 2011. L'analyse statistique des déterminants du suicide parmi cette population s'articule à une enquête qualitative collectant les trajectoires de suicidés auprès des « proches éloignés » : collègues voisins, travailleurs sociaux, bénévoles et salariés d'une association d'accompagnement des agriculteurs en difficulté, essentiellement dans des zones d'élevage laitier et allaitant.
Dans sa thèse, Nicolas Deffontaines examine les profils des agriculteurs qui se suicident et étudie les causes sociales qui les poussent à l’acte.
Il rappelle que leur surreprésentation dans les taux de suicide par rapport aux autres catégories socioprofessionnelles est stable dans le temps et dans l’espace. Le phénomène dure depuis au moins quarante ans et quel que soit le territoire occupé, cette profession se suicide davantage que les autres
Le suicide des agriculteurs : un fait social structurel et durable
Ainsi, même si cette réalité a été médiatisée essentiellement à la faveur de la grève du lait de 2009, elle ne se réduit pas à un phénomène conjoncturel qui ne dépendrait que des fluctuations des cours agricoles. L’explication de ce fait social structurel sur le long terme ne se limite pas non plus à la spécificité du « mode de vie » à dominante rurale des agriculteurs.
L’auteur fait aussi le constat qu’il existe des différences à l’intérieur de la profession, les « petits exploitants » se suicidant davantage que les « gros », les célibataires, les veufs ou divorcés plus que les agriculteurs mariés, les Bretons plus que les Languedociens…
Quatre configurations sociales explicatives
Le suicide des agriculteurs est pluriel et pour tenter de mieux le cerner et proposer des actions préventives, Nicolas Deffontaines opte pour une approche qu’il appelle « configurationnelle ». Cette dernière se fonde sur l'articulation de l'analyse statistique des données de mortalité des agriculteurs exploitants et de l’analyse de trajectoires d’agriculteurs suicidés.
À partir de son enquête, il dégage quatre configurations (ou contextes) sociales chez les agriculteurs suicidés qu’il revisite et éclaire à travers la célèbre typologie des formes de suicides (« altruiste », « égoïste » et « anomique ») établie par le sociologue Emile Durkheim dans son livre Le Suicide, paru en 1897.
Testant la pertinence de cette typologie, l’auteur y recourt pour éclairer les quatre contextes sociaux qu’il a observés :
Le suicide fataliste (type oublié par Durkheim)
L'intrication entre la sphère professionnelle et la sphère domestique, sur laquelle se fonde la régulation familiale de l'activité agricole, favorise le suicide fataliste des jeunes exploitants
Le suicide égoïste
Le suicide fréquent d'agriculteurs isolés ou qui connaissent une rupture cumulative des liens sociaux (divorce, tensions avec les pairs…) renvoie au suicide égoïste provoqué par un déficit d'intégration. L’agriculteur ainsi acculé éprouve souvent un sentiment grandissant de disqualification sociale.
Le suicide altruiste
Cette forme de suicide s'incarne dans le cas d'agriculteurs proches de l'âge de la retraite qui éprouvent de grandes difficultés à transmettre leur exploitation, soit parce que leurs enfants ne prennent pas leur suite, soit parce qu’ils ne trouvent pas de repreneur. Il est qualifié comme altruiste pour souligner le fort attachement de la profession à l'égard de la lignée.
Le suicide anomique
Il désigne celui de l'agriculteur fortement investi dans le travail, dans la profession et socialement, et qui perd le sens de cet engagement à mesure que son indépendance statutaire lui paraît menacée. Les causes peuvent être d’ordre économique (crise du lait, par exemple), ou le fait de contraintes administratives trop lourdes (imposition de normes économiques, agronomiques et environnementales…), etc. Son modèle productif est remis en cause. Il ne se reconnaît plus dans le travail qu’il fait. Il craint de perdre l’indépendance pour laquelle il se bat. Les contraintes du métier sont alors vécues d'autant plus négativement qu'elles se heurtent à la liberté d'action, valeur cardinale de la profession. Ce type de suicide tend à affecter davantage les franges moyennes et supérieures des groupes sociaux agricoles.
Les liens sociaux et la famille, facteur majeur de protection contre le suicide
L’auteur conclut que ces quatre configurations confortent l’importance de l'enserrement domestique, le poids du statut consacré par les organismes professionnels agricoles, et plus largement le rôle majeur joué par les liens sociaux, assurant protection et reconnaissance aux individus en matière de prévention du suicide. Il souligne que si l'intégration familiale reste décisive, l'environnement professionnel immédiat à travers les centres d’études techniques agricoles (Ceta), les services de remplacement, les coopératives d’utilisation de matériel agricole (Cuma) et leurs réseaux informels d’entraide entre agriculteurs (chantiers collectifs de paille, foin, ensilage) ainsi que les lieux de sociabilité (chasse, football, associations) exercent également un rôle protecteur.
Pour en savoir plus Étude sur le suicide en agriculture. Suicide en agriculture, un problème à la loupe. Retour sur l’étude sur le suicide menée par Santé publique France et la CCMSA. Le Bisma, le magazine de la Mutualité sociale agricole (MSA).Posté le 22 novembre 2016 « C’est un fait social structurel sur le long terme ». Interview de Nicolas Deffontaines, doctorant en sociologie à l’Institut national de la recherche agronomique – Centre d’économie et de sociologie appliquées à l’agriculture et aux espaces ruraux. Le Bisma, le magazine de la MSA. Posté le 22 novembre 2016. |