Le 1er décembre 2017, une épidémie d’infections par la bactérie Salmonella Agona touchant de jeunes enfants était identifiée en France. Une source commune potentielle, la consommation de lait en poudre fabriqué dans une même usine, a été rapidement identifiée. Les premières mesures de retrait et rappel des produits suspectés ont été réalisées dès le 2 décembre et l’alerte européenne initiée le 4 décembre. À partir du 22 décembre, plusieurs retraits-rappels successifs ont concerné tous les produits fabriqués dans cette même usine. Depuis, la surveillance et les investigations menées par Santé publique France et le Centre national de référence se poursuivent afin d’identifier d’éventuels cas complémentaires et de vérifier l’efficacité des mesures de contrôles mises en place par la Direction générale de la santé et la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes.
L’article qui vient d’être publié dans Eurosurveillance par Santé publique France et ses partenaires donne l’occasion de revenir sur le rôle majeur de la surveillance des infections d’origine alimentaires pour identifier des cas groupés le plus rapidement possible, permettant de prendre les mesures pour limiter le nombre de cas ; et de décrire comment l’investigation mise en œuvre, véritable enquête mobilisant nombre de partenaires, a permis d’identifier rapidement les produits potentiellement contaminés et de suivre sa distribution.
Trois questions à Nathalie Jourdan Da Silva, direction des maladies infectieuses
Le Centre national de référence des Salmonella (CNR-Salm), en charge de la surveillance microbiologique des salmonelloses humaines, reçoit des souches d’un grand réseau de laboratoires volontaires hospitaliers et privés(1) . Les souches reçues sont caractérisées par différentes méthodes et classées selon leur sérotype et selon les résultats de typage génomique. Des algorithmes de détection de dépassement de seuils ont été établis depuis plusieurs années par Santé publique France et le CNR-Salm pour chaque sérotype à partir des données historiques. Ils sont utilisés chaque semaine pour rechercher des augmentations inhabituelles ou des cas groupés de souches d’un sérotype donné parmi les souches reçues au CNR-Salm.
Agona est un sérotype de Salmonella plutôt rare chez les nourrissons puisqu’il représente 2,1 % de l’ensemble des souches de Salmonella identifiées entre 2011 et 2016 et isolées chez des nourrissons.
Le 1er décembre 2017, l’identification de 8 souches en 8 jours, toutes isolées chez des nourrissons était une situation exceptionnelle nécessitant une investigation épidémiologique en urgence. Dès ce signalement, les épidémiologistes ont débuté des entretiens téléphoniques avec les parents des enfants infectés pour explorer l’ensemble des expositions susceptibles d’avoir été une source de contamination de salmonelles : aliments, boissons, contact avec des cas de diarrhée dans l’entourage, contact avec des animaux. Le vendredi soir, 1er décembre, les premiers résultats obtenus par l’interrogatoire des parents de 8 enfants montraient que ces enfants avaient comme exposition commune la consommation de lait infantile produit par Lactalis dans l’usine de Craon. Suite à ces résultats, une inspection de ce lieu de production a été réalisée par les services de la DDCCRF. Les résultats des interrogatoires des parents et de l’inspection de l’usine ont conduit à la décision du retrait et rappel des produits.
Au 11 janvier 2018, le bilan en France s’établissait à 37 cas d’infections par Salmonella Agona chez des nourrissons.
Le séquençage du génome bactérien réalisé sur les souches issues de ces cas a montré que 36 des 37 cas identifiés appartiennent au même cluster de Salmonella Agona. Pour un cas, l’analyse est encore en cours. La survenue de ces cas constitue donc bien une épidémie.
Les investigations environnementales sur le site de production, en particulier la recherche de bactéries, et l’analyse de la traçabilité des lots produits sur ce site sont encore en cours en lien avec les services de la DGCCRF.
Les produits fabriqués dans l’usine étaient distribués dans 66 pays dont 12 de l’Union européenne. Au 11 janvier, 2 cas étaient identifiés hors de France, en Espagne (même souche que celle isolée des cas français) et en Grèce (cas probable, analyse génétique en cours).
Concernant les mesures de prévention, dès les premiers jours de décembre, une information a été largement diffusée à destination des parents, du personnel soignant et des maternités. Un numéro de téléphone vert a été mis à disposition du public par le ministère de la Santé. Les numéros des lots rappelés ont été publiés par la DGCCRF. Pour les enfants consommant des laits à visée thérapeutique, des recommandations ont été diffusées par les professionnels de santé concernant les aliments de substitution possible. Enfin, Santé publique France a relayé sur son site des conseils aux parents en matière d’hygiène de préparation des biberons.
Les Salmonelles sont des bactéries fréquemment mises en cause dans les infections d’origine alimentaire. Elles sont en outre capables de survivre et se multiplier dans tous types d’aliments ou d’ingrédients servant à la préparation d’aliments. Il n’est pas rare de les trouver dans des aliments, en particulier des aliments crus d’origine animale. Elles peuvent contaminer des produits industriels aussi bien que des préparations « maison ».
Il s’agit ici de la 3ème épidémie de Salmonella mettant en cause du lait pour nouveau-nés en France.
Lors de la première épidémie d’infections à Salmonella Agona chez des nourrissons survenues en 2005, 146 cas ont été identifiés. Tous ont eu une évolution favorable.
En 2008, 50 cas d’infections à Salmonella Give chez des nourrissons liés à la consommation de lait en poudre d’une autre marque avaient été identifiés.
La question aujourd’hui est de savoir si les souches responsables de l’épidémie d’infections à Salmonella Agona en 2005 et 2017 sont les mêmes, c’est-à-dire à comprendre si un lien direct existe entre les deux épidémies. La capacité des souches de Salmonella à persister longtemps dans un environnement industriel a été rapportée aux États-Unis à l’occasion de 2 épidémies survenues à 10 ans d’intervalle à partir d’un même site de production. Les analyses microbiologiques qui permettront de répondre à cette question sont en cours.
Pour en savoir plus :
(1)Une étude récente a estimé le nombre de cas de salmonellose survenant en France à environ 200 000 par an. Van Cauteren D., Le Strat Y., Sommen C., Bruyand M., Tourdjman M., Jourdan-Da Silva N., et al. Estimation de la morbidité et de la mortalité liées aux infections d’origine alimentaire en France métropolitaine, 2008-2013. Bull Epidémiol Hebd. 2018;(1):2-10.
Jourdan-Da Silva N., Fabre L., Robinson E., Fournet N., Nisavanh A., Bruyand M., et al. Ongoing nationwide outbreak of Salmonella Agona associated with internationally distributed infant milk products, France, December 2017. Euro Surveill. 2018;23(2):pii=17-00852.