Comment limiter le marketing alimentaire, en particulier pour les produits gras, sucrés, salés en direction des enfants et des adolescents ?

Santé publique France publie les résultats d’une enquête sur l’exposition des enfants et adolescents à la publicité et préconise de limiter les communications commerciales pour les produits à faible qualité nutritionnelle aux heures les plus regardées par les enfants

Publié le 24 juin 2020

Conscients de la progression et des causes de l’épidémie planétaire d’obésité, les pouvoirs publics cherchent des solutions pour inverser la tendance. En octobre 2018, la Direction générale de la santé (DGS) a saisi Santé publique France sur la question de l’évolution des messages sanitaires prévus par l’arrêté du 27 février 2007 accompagnant les publicités de certains aliments et boissons.

Selon l’étude Esteban publiée en 2017, près de 17% de la population en France est obèse. L’obésité est un facteur de risque de nombreuses pathologies comme le diabète, l’hypertension, le cancer etc. L’épidémie de COVID-19 a par ailleurs montré que les personnes obèses sont particulièrement à risque de développer des formes graves de la maladie et ont été jusqu’à sept fois plus nombreuses dans les unités de réanimation (83% des patients). La lutte contre l’obésité nécessite d’agir notamment sur l’environnement alimentaire impliquant des changements dans la production, la distribution et le marketing des multinationales de l’agro-alimentaire. 

Quelles sont les questions soulevées dans cette enquête ?

Conformément au plan Priorité prévention du Comité interministériel pour la santé du 25 mars 2019, la réponse de Santé publique France à la saisine de la DGS, présentée dans un document synthétique adossé à un rapport d’enquête, s’inscrit dans un objectif de protection des enfants et adolescents face au marketing des produits alimentaires peu sains. 

Au sommaire de ces documents :

  • Contexte : surpoids et obésité infantile en France, consommation de ces produits et influence du marketing sur les comportements alimentaires.
  • 1re partie : les principaux enseignements de l’enquête sur l’exposition des enfants et des adolescents à la publicité vantant les produits gras, sucrés, salés dans les différents médias dont la télévision et Internet. 
  • 2e partie : définition d’un cadre pour réduire l’exposition à la publicité : quelle tranche d’âge protéger ? quels produits viser ? quelle forme de marketing encadrer et à quel niveau ? 
  • 3e partie : pistes de refonte du dispositif de messages sanitaires. 

Le rapport d’enquête rappelle qu’il existe un consensus, fondé sur des études scientifiques indépendantes, sur la nécessité de réglementer efficacement le marketing des produits alimentaires peu sains qui s’adresse aux enfants. 

Les préconisations de Santé publique France

Santé publique France préconise de limiter les communications commerciales pour les produits de plus faible qualité nutritionnelle, classés D et E selon le Nutri-Score ainsi que les communications pour les marques associées à ces produits, en télévision et sur Internet pendant les tranches horaires qui sont le plus regardées par les enfants. Ces deux médias représentent 80 à 90% des investissements publicitaires alimentaires.
En complément de ces mesures prioritaires, Santé publique France propose que le dispositif des messages sanitaires qui figurent au bas des publicités pour des produits alimentaires peu sains soit adapté afin qu’il puisse jouer pleinement son rôle d’incitation comportementale en dissociant les messages sanitaires des annonces publicitaires elles-mêmes.

3 questions à Anne-Juliette Serry, responsable de l’unité alimentation et activité physique à Santé publique France

Anne Juliette Serry

1/ Quels sont les différentes stratégies visant à modifier le comportement alimentaire des individus ? Quelles sont les plus efficaces selon la littérature scientifique ? 

Les stratégies sont souvent basées sur l’éducation et l’information nutritionnelles. Leur objectif est d’inciter à adopter des comportements nutritionnels favorables à la santé ce qui inclut un volet d’activité physique. Le dispositif de messages sanitaires s’inscrit dans cette démarche.
Plusieurs revues de littérature montrent néanmoins que les connaissances en nutrition n’influencent que peu la consommation alimentaire.
Les choix alimentaires dépendent de nombreux autres facteurs dits environnementaux comme la qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire, le prix des denrées alimentaires, la disponibilité de l’offre et également le marketing alimentaire au sens large (packaging, publicité, promotion etc.). 
L’attraction d’aliments toujours plus agréables au palais est décuplée par le marketing des multinationales de l’agroalimentaire.
L’environnement alimentaire a radicalement changé ces 40 dernières années en proposant une offre alimentaire toujours plus transformée, plus dense en énergie, moins chère, mieux distribuée et mieux marquetées.
Une politique ambitieuse doit avoir comme objectif d’agir sur l’environnement obésogénique dans lequel les consommateurs sont amenés à effectuer leurs choix alimentaires, en agissant notamment sur le marketing alimentaire. 

2/ Pourquoi faut-il prendre des mesures spécifiques pour protéger les enfants et les adolescents ? 

56 %

de hausse de consommation chez les enfants exposés à la publicité pour des aliments peu sains

Emma Boyland et ses collègues ont réalisé une synthèse des expérimentations concernant l’effet à court terme d’une exposition à de la publicité pour des aliments peu sains sur les comportements d’adultes et d’enfants. Ces auteurs ont montré que l’exposition à cette publicité n’avait pas eu d’effet sur les comportements des adultes mais induisait une augmentation de 56% de consommation chez les enfants exposés par rapport aux enfants non exposés.
Cette différence observée ainsi que de nombreuses autres études établissant l’influence du marketing alimentaire sur les préférences alimentaires des enfants imposent de prendre des mesures spécifiques pour protéger les enfants et les adolescents. Plusieurs instances internationales (Organisation mondiale de la santé) et nationales (Haut Conseil de la santé publique, Inspection générale des affaires sociales) préconisent donc un encadrement de la publicité pour prévenir l’obésité des enfants. 

3/ Quels sont les principaux enseignements de l’enquête sur l’exposition des enfants et des adolescents à la publicité pour les produits gras, salés, sucrés (PGSS) réalisée par Santé publique France ? 

L’enquête a calculé le nombre de publicités télévisées pour ces produits, vues par les enfants et les adolescents en 2015 et en 2018. Elle a aussi fourni des données de 2012, 2015 et 2018 sur l’évolution des équipements et des usages médias, et sur les investissements publicitaires dépensés pour promouvoir ces aliments.

La télévision
La télévision reste le média le plus regardé par les enfants de 4-12 ans (1h28 par jour) devant Internet (53 min par jour). Les adolescents passent quant à eux 2h par jour devant Internet et 1h12 devant la télévision. Le temps quotidien de publicités vues entre 2012 et 2018 a augmenté, passant en moyenne de 7 min à 9 min par jour. Autre enseignement notable, les programmes jeunesse qui font actuellement l’objet d’interdiction de publicité sur les chaînes publiques et de mesure d’autorégulation de la part des industriels de l’agroalimentaire ne représentent que 0,1% des programmes diffusés et moins de 0,5% des programmes vus par les enfants. 

Internet
Concernant Internet, de nombreuses publicités sont diffusées sur les sites et réseaux sociaux fréquentés par les enfants et adolescents mais il est à ce jour impossible d’estimer leur exposition au marketing digital par manque de données déclarées sur les investissements et les cibles. 

La publicité
Les investissements publicitaires alimentaires sur l’ensemble des médias s’élèvent à 1,1 milliard d’euros nets et représentent 9,3% de l’ensemble des investissements nets estimés du marché publicitaire en 2018. Ces investissements sont majoritairement faits à la télévision (60%) et sur Internet (entre 20%% et 30%) en 2018, selon les estimations fournies par l’agence Dentsu. 
La restauration rapide, les chocolats et les boissons sucrées représentent un tiers de ces investissements. Enfin, résultats majeurs et mesurés pour la première fois en France : les publicités vues à la télévision par les enfants et les adolescents concernent majoritairement des produits de Nutri-Score D et E c’est-à-dire de plus faible qualité nutritionnelle. 
En 2018, ces publicités pour des produits Nutri-Score D et E représentent 53,3 % des publicités alimentaires vues par les enfants, 52,5 % des publicités vues par les adolescents, et 50,8 des publicités vues par les adultes. En outre, la moitié des publicités pour des produits Nutri-Score D et E vues par les enfants et les adolescents le sont entre 19h00 et 22h00, heure où plus de 20 % d’entre eux sont devant la télévision. 

Conclusion
Ces résultats sont en faveur d’une restriction du marketing alimentaire pour les produits de faible qualité nutritionnelle, notamment à la télévision, aux heures où le plus grand nombre d’enfants et d’adolescents regardent la télévision. En outre, l’augmentation du temps passé sur Internet par les enfants et les adolescents laisse augurer une exposition bien plus massive aux publicités pour les PGSS, sans qu’il soit à ce jour possible de la mesurer mais pour laquelle l’encadrement semble tout aussi nécessaire.

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