Depuis le début de l’année 2022, plusieurs cas de diphtérie ont été rapportés dans 9 régions de France métropolitaine ainsi qu’à Mayotte et à la Réunion. En comparaison aux autres années, le nombre de cas de C. diphtheriae est nettement plus élevé que la moyenne. En France métropolitaine, la majorité des cas étaient rapportés chez des personnes migrantes et chez des voyageurs. Grâce à la couverture vaccinale très élevée depuis de nombreuses années, l’apparition de cas graves ou de cas groupés au sein de la population générale apparaît extrêmement faible en France métropolitaine et à la Réunion. A Mayotte, où la couverture vaccinale est insuffisante, la bactérie circule depuis plusieurs années.
Santé publique France surveille l’évolution de la situation et l’augmentation des cas de diphtérie chez les personnes migrantes, en grande majorité non à jour dans leurs vaccinations. Un rappel des recommandations de vaccination et de prise en charge a été transmis aux associations et aux professionnels de santé.
Rappel sur la maladie
La diphtérie à Corynebacterium diphtheriae est une infection bactérienne hautement contagieuse qui se transmet d’homme à homme à partir de sujets malades mais aussi de porteurs sains (portage possible durant plusieurs semaines ou mois). La transmission est soit directe par gouttelettes, soit indirecte à partir d’objets souillés (rare) ou de lésions cutanées non traitées. Sa durée d’incubation est courte, inférieure à 7 jours (de 2 à 5 jours). La maladie se manifeste sous forme ORL ou cutanée.
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Point de situation en France
Au 31 décembre 2022, 60 cas de diphtérie (confirmés biologiquement comme tox-positifs, c’est à dire porteurs du gène tox-codant pour la toxine diphtérique) ont été rapportés en France depuis le début de l’année (figure 1) :
- 8 cas de diphtérie à Corynebacterium ulcerans (C. ulcerans) en France métropolitaine ;
- 35 cas de diphtérie à Corynebacterium diphtheriae(C. diphtheriae) en France métropolitaine ;
- 13 cas de diphtérie à C. diphtheriae à Mayotte et 4 à La Réunion.
En 2022 et par comparaison aux 5 dernières années, le nombre de cas de diphtérie à C. ulcerans était similaire (en moyenne 7,2 cas par an), mais le nombre de cas de diphtérie à C. diphtheriae était nettement plus élevé que la moyenne alors observée (France métropolitaine : 3,4 cas par an; Mayotte : 2,6 cas par an; La Réunion : 0,6 cas par an). Il y a donc une nette augmentation des cas à C. diphtheriae en 2022, particulièrement en métropole.
En France métropolitaine
La majorité des cas était rapportée chez des personnes migrantes (n=28) mais également chez des voyageurs (n=6) (figure 2). Pour ces 34 cas, la notion d’un séjour dans un ou plusieurs des pays suivants a été retrouvée : Afghanistan (n=24), Turquie (n=6), Italie (n=5), Serbie (n=6), Autriche (n=4), Tunisie (n=3), Bulgarie (n=2), Iran (n=2), Hongrie (n=2), Mali (n=2), Suisse (n=2), Bosnie (n=1), Slovénie (n=1), Syrie (n=1), Sénégal (n=1), Thaïlande (n=1), Madagascar (n=1). Lorsque la date de leur arrivée en France était connue (n=12), elle était le plus souvent de moins de 15 jours avant la date de la notification de la maladie (n=9). Un cas, qui n’a pas pu être interrogé, pour lequel nous n’avons pas d’information sur la notion de voyage.
Par ailleurs, un cas a probablement été infecté sur le territoire français lors d’un contact avec une personne de retour d’un voyage au Togo.
Les cas de diphtérie à C. diphtheriae en métropole étaient principalement des hommes (n=32), âgés de 11 à 59 ans (23 ans en moyenne). Seuls trois d’entre eux étaient à jour de leur vaccination contre la diphtérie. Pour 25 d’entre eux, le statut vaccinal était inconnu.
Parmi les cas survenus chez des personnes migrantes, 11 résidaient en foyer d’hébergement.
Les cas ont été diagnostiqués dans 9 régions. La région Normandie était la plus touchée avec 7 cas rapportés mais les cas étaient dispersés sur le territoire métropolitain (figure 3). Vingt-sept cas étaient des formes cutanées, 3 étaient porteurs asymptomatiques (au niveau de la sphère oropharyngée), un était une forme respiratoire peu symptomatique (cas autochtone) et quatre autres présentaient les symptômes d’une angine diphtérique classique (personne migrante). Un de ces cas ORL est décédé.
Le génotypage par séquençage génomique des 34 isolats par le Centre national de référence (CNR) des corynébactéries du complexe diphtheriae (https://www.pasteur.fr/fr/sante-publique/CNR/les-cnr/corynebacteries-du-complexe-diphteriae ) a montré 12 groupes génétiques différents (définis par leur ‘sublineage’ (SL) et plus finement par leur ‘genomic cluster’ (GC)), dont 5 parmi les cas de migrants liés à l’Afghanistan : SL377-GC817 (8 cas), SL466-GC823 (1 cas), SL384-GC805 (7 cas), SL698-GC795 (7 cas), SL698-GC804 (2 cas). Ces groupes ont également été identifiés dans d’autres pays européens.
Deux cas groupés ont été rapportés : l’un concernait 4 cas qui avaient voyagé ensemble dans un bus et l’autre deux cas qui avaient voyagé ensemble. Le génotypage par séquençage génomique a montré que parmi les cas qui avaient voyagé dans le bus, il y avait deux paires de cas avec deux génotypes distincts et donc probablement deux chaines de transmissions.
Une augmentation du nombre de cas chez les personnes migrantes est également observée dans d’autres pays d’Europe notamment en Angleterre, en Allemagne et en Suisse. Au 25 novembre 2022, l’Angleterre signalait 50 cas depuis le début de l’année (UK Health Security Agency, Public health control and management of diphtheria in England Supplementary guidance for cases and outbreaks in asylum seeker accommodation settings, December 2022). L’Allemagne rapportait trois fois plus de cas en 2022 (semaine 30 à 39) par rapport au nombre de cas signalés au cours des trois dernières années (Badenschier et al Euro Surveill. 2022). La Suisse faisait part, en octobre 2022 de deux épidémies de diphtérie en cours, chez des personnes migrantes (Kofler J et al Euro Surveill 2022). L’European Centre for Disease prevention and Control (ECDC) et l’OMS rapportaient également des cas de diphtérie en Autriche, en République tchèque, en Belgique, en Italie et en Norvège.
Mayotte et La Réunion
A Mayotte, la circulation autochtone de la bactérie est connue depuis quelques années. En 2022, sur les 13 cas rapportés, 7 étaient des formes cutanées, 1 forme ORL et 5 étaient porteurs (ORL) asymptomatiques de la bactérie. Ces 5 dernières infections ont été découvertes parmi les contacts proches de 2 cas symptomatiques. Un décès est survenu chez un bébé non vacciné âgé de 7 mois.
A La Réunion, sur la période 2021-2022, l’ensemble des cas rapportés était des cas importés. En 2022, 4 cas ont été déclarés et aucune notion de voyage n’a été retrouvée. Ces 4 cas n’étaient pas liés entre eux et étaient des formes cutanées.
L’analyse des regroupements génomiques, par le CNR, a montré que 10 souches (6 à Mayotte et 4 à la Réunion) avaient les mêmes caractéristiques, ce qui suggère fortement que ces cas soient liés. Nous n’avons pas d’hypothèse à ce stade, sur la nature de ce lien.
Quelles sont les mesures mises en place ?
La France (hors Mayotte) bénéficie d’une couverture vaccinale (CV) contre la diphtérie très élevée : 99% pour la primo-vaccination et 96% pour le rappel à 11 mois chez les nourrissons en 2019. Ces couvertures vaccinales sont très élevées depuis de nombreuses années, le vaccin ayant été rendu obligatoire jusqu’à l’âge de 13 ans jusqu’en 2018. Par ailleurs, la vaccination est obligatoire pour les nourrissons nés à partir de 2018. Le risque d’apparition de cas, en particulier de cas graves et/ou de clusters au sein de la population générale française, demeure donc extrêmement faible.
En revanche, l’augmentation des cas de diphtérie chez des personnes migrantes, très majoritairement non à jour de leurs vaccinations, fait craindre l'apparition de cas groupés d'infection à C. diphtheriae dans les lieux d'hébergement pour migrants, réfugiés ou demandeurs d’asile (ce scénario a été décrit en Suisse, (Kofler J et al Euro Surveill 2022)). Afin de prévenir ce risque, un message1 informant de cette augmentation de cas chez les personnes migrantes et rappelant les recommandations de vaccination et de prise en charge2 a été transmis aux associations prenant en charge les populations migrantes et aux professionnels de santé.
Des investigations et discussions sur les cas survenus parmi les personnes migrantes sont menées au niveau européen (ECDC et OMS) en particulier pour identifier un éventuel lieu de contamination (pays traversés sur le parcours migratoire ou pays d’origine comme l’Afghanistan).
Au cours des 3 premières semaines du mois de janvier 2023, des cas de diphtérie chez des personnes migrantes notamment en provenance d’Afghanistan continuaient à être signalés. Il convient de rappeler aux professionnels prenant en charge ces populations d’être particulièrement vigilants pour repérer les signes de diphtérie et prendre en charge ces personnes pour qui l’accès aux soins peut être difficile (Fiche diphtérie : repérer et prendre en charge un patient suspect en France 06/07/2022, COREB).
A Mayotte des études menées au cours des dernières années montrent une CV insuffisante pour assurer une immunité collective. En 2019, 93,2% des enfants âgées de 24 à 59 mois ; 45,3% des 7-11 ans et 27,1% des 14-16 ans étaient à jour de leur vaccination contre la diphtérie. Les interventions destinées à augmenter la couverture vaccinale dans ces populations doivent être renforcées sur ce territoire.
1- MINSANTE N°2022_66 daté, du 27/09/2022
2- Avis du Haut conseil de la Santé Publique relatif à la conduite à tenir autour d’un cas de diphtérie du 4 mars 2011 et complément du 10 septembre2022 : https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=215