Point sur la situation
Le Centre national de référence (CNR) des Salmonella (Institut Pasteur, Paris) reçoit les souches de salmonelles isolées par environ 1 200 laboratoires de biologie médicale et hospitaliers pour sérotypage. Le CNR a ainsi reçu et identifié, fin novembre 2017, un nombre inhabituel de souches de Salmonella sérotype Agona isolées chez de jeunes enfants. L'identification de 8 souches en 8 jours a déclenché l'alerte et les investigations épidémiologiques dès le 1er décembre auprès des parents des bébés concernés.
L'investigation épidémiologique est menée par Santé publique France en lien avec le CNR, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la Direction générale de la santé (DGS). Santé publique France interroge les familles des cas notamment sur la survenue de la maladie (début des signes, signes cliniques, prise en charge…) et les aliments consommés lors des 3 jours avant la date de survenue des signes.
L'investigation a permis d'identifier à ce jour 38 nourrissons (16 garçons et 22 filles, médiane d'âge 4 mois (min : 2.5 semaines, max : 9 mois) présentant une salmonellose à Salmonella sérotype Agona, survenue entre mi-août et le 2 décembre 2017. Toutes ces souches appartiennent à un même clone épidémiquea. La figure 1 indique la distribution des cas par semaine de diagnostic du CNR qui permet de donner l'alerte. A noter qu'un des cas a été identifié rétrospectivement par le CNR et a développé des symptômes fin avril 2017.
a1 souche est en cours de confirmation. Néanmoins, elles possèdent la caractéristique biochimique identifiée pour la souche responsable de l'épidémie : pas de production de H2S ou de gaz dans les 18 heures sur milieu de Kligler-Hajna).
Figure 1 - Distribution des cas d'infection par S. Agona (clone épidémique) par semaine de diagnostic au CNR, France, avril-décembre 2017 (n=38)
La figure 2 reconstitue l'épidémie selon la date de survenue des cas obtenue lors de l'interrogatoire des familles des patients. Elle permet d'évaluer l'impact des mesures de contrôle sur la survenue des nouveaux cas. Elle montre qu'après la mise en place des premières mesures de contrôle en semaine 48 aucun nouveau cas n'a été identifié (aucun cas avec une date de début des signes après la semaine 48).
Figure 2 - Distribution des cas d'infection par S. Agona (clone épidémique) par semaine de début des symptômes, France, avril-décembre 2017 (n=37)
Les 38 nourrissons résident dans 10 régions différentes (10 en Auvergne-Rhône-Alpes, 6 en Ile-de-France, 5 en Bourgogne Franche Comté, 3 en Pays de Loire, 3 en Occitanie, 3 en Nouvelle Aquitaine, 2 en Paca, 3 en Centre-Val-de-Loire, 2 en Hauts de France, 1 en Normandie) (Figure 2).
A ce jour, les familles de 37 nourrissons ont pu être interrogées. Parmi eux, 18 ont été hospitalisés en raison de leur salmonellose, tous sont sortis de l'hôpital. Lors des interrogatoires téléphoniques, les parents rapportaient que leurs bébés allaient bien.
Parmi ces 37 nourrissons, 36 ont consommé, dans les 3 jours précédant la date de début de leurs symptômes, des laits de marque : Pepti Junior de Picot (27 nourrissons), Milumel Bio 1 sans huile de palme (5 nourrissons), Picot Riz (2 nourrissons), Picot SL (1 nourrisson), et Picot anti-colique (1 nourrisson) ; ces 5 laits sont élaborés sur un même site de production. Une maman d'un nourrisson rapporte un allaitement maternel exclusif.
Figure 3 - Distribution géographique des 38 nourrissons présentant une salmonellose à Salmonella sérotype Agona (clone épidémiqueb), France, avril-décembre 2017
bOu ne produisant pas de H2S ou de gaz sur le milieu Kligler-Hajna.
Les résultats de l'investigation suggèrent fortement que les laits Pepti Junior de Picot, Picot SL, Picot Riz, Picot anti-colique et Milumel Bio 1 sans huile de palme, tous produits sur le même site, sont à l'origine de ces infections à Salmonella Agona.
Les cas recensés lors de cette investigation correspondent à des nourrissons ayant eu une diarrhée suite à la consommation de ces laits, ayant fait l'objet de consultation médicale et de coproculture (analyse de selles), pour lesquels les laboratoires ont isolé une souche de Salmonella transmise au CNR. Il est possible que certains cas n'aient pas été recensés. Néanmoins, ces cas non recensés sont en général moins graves et leur nombre est probablement limité du fait d'un recours aux soins plus systématique chez les nourrissons et pour les infections sévères.
Investigations microbiologiques
Le CNR a identifié, sur la base de l'analyse génomique des souches, un clone épidémique parmi les souches de S. Agona reçues en 2017.
Compte tenu de la distribution internationale de ces laits, le CNR a rendu publique la séquence de la souche épidémique sur EBI-ENA sous le numéro ERR2219379. Les CNR et les points focaux des pays concernés en ont été informés, afin qu'ils puissent comparer leurs séquences de souches de S. Agona avec celle de l'épidémie française.
La souche épidémique a des caractéristiques biochimiques spécifiques reconnaissables par les biologistes des laboratoires : elle ne produit ni H2S ni gaz sur milieu Kligler-Hajna, ce qui est inhabituel pour les Salmonella non-typhiques.
Par ailleurs, cette souche ne présente pas de résistance antibiotique particulière.
Le CNR a également analysé rétrospectivement les souches de S. Agona isolées de nourrissons depuis 2000 avec une nouvelle technique (séquençage du génome) utilisée en routine depuis 2017 pour identifier les souches épidémiques. Sans ce séquençage du génome, il n'est pas possible de distinguer les souches de S. Agona épidémiques de celles isolées de cas sporadiques.
Le profil épidémique identifié pour les cas de 2017 est le même que celui des souches isolées lors de l'épidémie survenue en 2004-2005 et liée à la consommation de laits infantiles produits dans la même usine. De plus, le CNR a pu identifier à ce jour 25 cas de S. Agona avec profil épidémique sur la période 2006-2016, exclusivement chez des nourrissons. Ce profil épidémique n'est retrouvé pour aucune souche isolée d'enfants plus âgés ou d'adultes pour lesquelles le séquençage du génome a été réalisé. Enfin, ces 25 cas identifiés rétrospectivement sont survenus de manière étalée sur plusieurs années, sans regroupement de cas dans le temps ou dans une région précise.
Mesures de gestion
Plusieurs mesures consécutives de retraits et rappels d'une large gamme de laits produits par la même entreprise ont été prises depuis le 2 Décembre 2017. La liste de ces produits est disponible sur le site de la DGCCRF.
La DGS a ouvert un numéro vert du 10 au 24 Décembre 2017. Cette plateforme téléphonique était destinée à apporter des réponses aux questions des parents et les recommandations sanitaires qui conviennent.
L'établissement producteur a mis également à disposition des parents un numéro vert - 0800 120 120 (ouvert de 9h00 à 20h00). Cette plate-forme téléphonique est destinée à répondre aux interrogations des parents sur les produits rappelés.
Investigations internationales
Outre l'alerte déclenchée en France et les mesures prises, Santé publique France a alerté, le 6 décembre 2017, ses homologues dans les agences et instituts nationaux de santé publique et les microbiologistes des laboratoires nationaux de références de la communauté européenne via le système d'information d'intelligence épidémique (EPIS) du Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies infectieuses (ECDC). L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a également transmis l'alerte via son réseau Infosan, aux points focaux nationaux de l'ensemble des pays potentiellement concernés.
Les informations sur les produits à retirer de la vente ont été diffusées internationalement via le System européen d'alerte rapide des aliments (European Rapid Alert System for Food and Feed (RASFF) et le réseau Infosan de l'OMS.
A ce jour, 2 cas d'infection à Salmonella Agona chez des nourrissons ayant consommé du lait de la liste des produits incriminés ont été identifiés hors de la France : un enfant en Espagne (infecté par une souche appartenant au clone épidémique) et un enfant en Grèce (confirmation d'appartenance de la souche au clone épidémique en cours).
L'ECDC et l'Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA), en lien étroit avec les autorités sanitaires françaises et Santé publique France, ont conduit une analyse rapide du risque de cet évènement. Le rapport de cette analyse est disponible sur le site de l'ECDC depuis le 17 janvier 2018.
Rappels des conseils à l'attention des parents - Recommandations de la Société française de pédiatrie
Les parents qui utiliseraient une boîte de lait infantile en poudre concernée par cette mesure de retrait-rappel doivent changer immédiatement de lait. La Société française de pédiatrie (SFP) a formulé des recommandations de substitutions possibles en ce sens qui sont également publiées sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé. Ces recommandations ont également été transmises aux médecins généralistes, pédiatres, sages-femmes et pharmaciens.
Ces recommandations ont également été transmises aux médecins généralistes, pédiatres, sages-femmes et pharmaciens.
Santé publique France rappelle les principes d'hygiène à respecter lors de la préparation des biberons :
- chaque manipulation doit être précédée d'un lavage soigneux des mains à l'eau et au savon ;
- les biberons ne doivent pas être préparés à l'avance ;
- les biberons doivent être nettoyés aussitôt après usage.
Rappels sur la maladie
Les infections à Salmonella surviennent généralement dans les 3 jours suivant l'ingestion, et provoquent un tableau de gastro-entérite avec des vomissements, une diarrhée parfois sanglante, et fébrile dans la majorité des cas. L'apparition de ces signes chez un nourrisson doit conduire les familles à consulter un médecin sans attendre.
Salmonella Agona fait partie des quelques 2 000 sérotypes de Salmonella pathogènes chez l'homme. De 2012 à 2016, le CNR des Salmonella a identifié environ 65 souches de Salmonella Agona par an tout âge confondu. Comme la plupart des autres sérotypes de Salmonelle, Salmonella Agona est retrouvé en France dans divers réservoirs animaux parmi lesquels les volailles, les bovins, les porcs et les aliments pour animaux.
Plusieurs épidémies de salmonellose à Salmonella Agona ont été rapportées dans le passé, en particulier une épidémie attribuée à la consommation de lait en poudre chez des nourrissons en France en 20051, une épidémie chez des nourrissons en Allemagne attribuée à la consommation de tisanes à base de fenouil et d'anis2, et des épidémies attribuées à la consommation de goûters à la cacahuète3 ou de céréales à base d'avoine4.
Références1Brouard C, Espie E, Weill FX, Brisabois A, Kerouanton A, Michard J, Hulaud D, Forgues AM, Vaillant V, de Valk H. Epidémie de salmonellose à Salmonella enterica sérotype Agona liée à la consommation de poudres de lait infantile, France, janvier-mai 2005. Bull Epidemiol Hebd 2006;(33):248-50. 2Koch J, Schrauder A, Werber D, Alpers K, Rabsch W, Prager R, Broll S, Frank C, Roggentin P, Tschäpe H, Ammon A and Stark K. A nation-wide outbreak of Salmonella Agona in infants due to aniseed in herbal tea, Germany, October 2002-July 2003. 5th World Congress, Foodborne Infections and Intoxications, 7-11 June 2004, Berlin, Germany.3Killalea D, Ward LR, Roberts D, et al. International epidemiological and microbiological study of outbreak of Salmonella Agona infection from a ready to eat savoury snack -- I: England and Wales and the United States. BMJ 1996;311-13.4From the Centers for Disease Control and Prevention. Multistate outbreak of Salmonella serotype Agona infections linked to toasted oats cereal--United States, April-May, 1998. JAMA. 1998 Aug 5;280(5):411.