Des épidémies infectieuses d’origine hydrique surviennent chaque année dans les pays développés et impactent le consommateur. Les agents pathogènes sont multiples (virus, parasites, bactéries) et le syndrome le plus fréquent est une gastro-entérite aiguë. Ces épidémies peuvent toucher des centaines voire des milliers de personnes comme par exemple deux épidémies survenues en Suède à 6 mois d’intervalle en 2010 et 2011 et ayant touché 50 000 personnes. Face à cet enjeu, Santé publique France poursuit des travaux pour étudier et prévenir le risque infectieux d’origine hydrique : construction d’un indicateur de GEA médicalisées à partir des données de l’Assurance Maladie, étude de la relation entre cet indicateur et des paramètres de qualité d’eau (dont la turbidité), étude des facteurs environnementaux liés aux contaminations fécales de l’eau du robinet, etc. Ces dernières années, les travaux se sont focalisés sur le développement de méthodes pour améliorer la détection des épidémies hydriques. L’une de ces méthodes repose sur la construction d’un algorithme basé sur l’utilisation des donnés de l’Assurance Maladie et de la base nationale SISE-Eaux contenant les informations sur les réseaux d’eau potables.(1)
L’article publié ce mois-ci dans la revue International Journal of Environmental Research and Public Health décrit les résultats d’une étude de simulation visant à évaluer la performance de cet algorithme pour détecter les épidémies infectieuses d’origine hydrique.
3 questions à Damien Mouly, direction des régions
En dehors des États-Unis qui produisent des bilans réguliers sur les épidémies hydriques, peu de pays disposent d’un système de surveillance spécifique. En France, la surveillance de ces épidémies repose sur le signalement volontaire par les médecins de cas groupés de gastro-entérites aiguës (GEA) aux autorités de santé ou de résultats non conformes du contrôle sanitaire de l’eau. D’après ces sources, on recense entre 4 et 5 épidémies par an mais ce nombre est probablement très sous-estimé. Ces épidémies impliquent chacune 200 malades en moyenne. Certaines sont massives comme à Vif en Isère en 2016 ou plus de 1 500 malades ont été dénombrés.
Les investigations de ces épidémies convergent habituellement vers les mêmes circonstances de survenue : événements pluvieux entraînant une pollution et ou inondation de la ressource, incidents d’exploitation (panne de désinfection, incident de filtration, …), incident de distribution (rupture de canalisation), retour d’eau usée dans le réseau d’eau potable.
Les réseaux d’eau à risque sont ceux dont les captages sont non ou mal protégés vis-à-vis de la pollution, dont la filière de traitement est sous-dimensionnée, dont le système de désinfection est absent ou inadapté, ou en cas d’absence ou défection de système de protection pour éviter les retours d’eaux usées dans le réseau de distribution.
En France, les zones de montagne ou volcaniques où le relief impose un système de distribution d’eau composé de nombreux petits captages difficiles à sécuriser sont plus souvent confrontées à cette problématique. Les zones avec des sols très pénétrants comme c’est le cas dans les zones karstiques sont également plus à risque.
Aucune approche de détection d’épidémies de gastro-entérite aiguë actuellement développée en France n’est spécifique de l’origine hydrique. L’enjeu pour optimiser la détection d’épidémies hydriques est de pouvoir identifier des cas groupés de GEA ayant en commun l’exposition à l’eau du robinet. Ceci en tenant compte des contraintes imposées par les données de l’Assurance Maladie qui fournissent des cas de GEA agrégées par jour et par communes, et par les contours des réseaux d’eau potable qui ne sont pas directement superposables aux contours des communes.
Pour pallier à cette difficulté, un algorithme décisionnel a été élaboré pour définir les communes à regrouper en fonction des unités de distribution d’eau qui les alimentent. Une méthode de détection d’agrégats (le scan spatio-temporel de Kulldorff) a ensuite été appliquée sur ces regroupements pour identifier les épidémies hydriques potentielles.
Une étude de simulation a été réalisée pour évaluer les performances de cet algorithme pour la détection des cas groupés. Dans un premier temps, l’incidence de base des GEA à l’échelle communale a été calculée à partir des données de l’Assurance Maladie (bruit de fond). Dans un deuxième temps, 2 000 épidémies de profils compatibles avec des épidémies d’origine hydrique survenues en France et décrites dans la littérature, ont été générées à l’échelle de l’unité de distribution d’eau.
La sensibilité globale de la méthode est proche de 74 %. Elle varie surtout en fonction de la taille de l’épidémie (inférieure à 20 % pour des épidémies impliquant moins de 10 cas et supérieure à 95 % pour des épidémies de 20 cas ou plus). La capacité de cet algorithme à détecter une épidémie d’origine hydrique simulée est de 90,5 %. Cette valeur est légèrement plus faible pour les petites épidémies (inférieures à 10 cas) et pour les épidémies survenant en hiver en raison d’un bruit de fond de la gastro-entérite aiguë plus important à cette période de l’année.
En complément de l’étude de simulation, la méthode de détection a été testée sur le terrain dans une étude pilote couvrant 7 départements de 7 régions différentes. Il en ressort que le déploiement d’un système de surveillance rétrospectif des épidémies hydriques à l’ensemble des départements français est envisageable. Ce système devrait s’intégrer dans les objectifs internationaux et nationaux impulsés par l’OMS et visant à compléter une surveillance fondée sur la qualité de l’eau distribuée par un système qualité (plans de gestion et de sécurité sanitaire de l’eau potable - PGSSE).
Les objectifs de la surveillance seront de détecter les épidémies de GEA d’origine hydrique ; de mener des investigations sur les réseaux d’eau impactés ; de renseigner une base de données nationale avec des informations épidémiologiques et environnementales. Des analyses ultérieures pourront être réalisées à partir de cette base de données dans un objectif de description des facteurs de risque, de bilan épidémiologique, de rétro-information et de prévention.
On estime qu’un système de surveillance basé sur l’utilisation des données de l’Assurance Maladie et des données SISE-Eaux augmenterait d’un facteur 100 le nombre d’épidémies détectées, soit environ 500 épidémies par an en France.
La mise en œuvre de cette surveillance nécessitera l’implication d’un ensemble de partenaires ayant chacun leur domaine de compétence : Santé publique France pour la surveillance épidémiologique et l’évaluation des mesures de prévention, les autorités sanitaires régionales (ARS) et les exploitants pour les enquêtes environnementales et la mise en œuvre des mesures de gestion, le ministère en charge de la santé pour la supervision et l’ajustement éventuel des textes réglementaires.
(1) Coly, S.; Vincent, N.; Vaissiere, E.; Charras-Garrido, M.; Gallay, A.; Ducrot, C.; Mouly, D., Waterborne disease outbreak detection: an integrated approach using health administrative databases. Journal of water and Health 2017, 15, (4), 15.