Les influences du changement climatique sur la santé humaine sont nombreuses et complexes. Elles font l’objet d’un nombre croissant de publications ; en 2018, le Lancet a considéré que les décisions actuellement prises en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation aux effets déjà observés du changement climatique conditionneront la santé des populations pour les siècles à venir. D’autres évolutions importantes de l’environnement sont en cours. En mai 2019, la plateforme intergouvernementale pour la biodiversité (IPBES, Intergovernmental science-policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) publiait son rapport sur l’évaluation de la biodiversité à l’échelle planétaire. Le rapport concluent que la nature est altérée a un degré sans précédent partout dans le monde, avec des conséquences sur la santé. Si l’on continue sur les tendances actuelles, les objectifs du développement durable, les objectifs d’Aichi pour la biodiversité et l’accord de Paris pour le climat ne seront pas respectés. Plusieurs de ces objectifs sont directement des objectifs de protection de la santé. Le propos des auteurs de l’article [1] paru dans la revue Current Environmental Health Reports est de faire un plaidoyer pour une meilleure prise en compte des impacts sanitaires du changement global par la communauté scientifique. Les auteurs y discutent quelques perspectives de l’impact du changement global à travers leur regard de professionnels de santé publique.
3 questions à Mathilde Pascal, Santé publique France
Le changement global est un terme générique englobant le changement climatique, la disparition de la biodiversité, l’artificialisation des sols, la pollution ubiquitaire de l’environnement… Toutes ces évolutions sont interdépendantes, avec des origines communes, et des interactions pouvant conduire à des changements abrupts et irréversibles de l’environnement. Au niveau international, il y a un consensus scientifique sur la gravité de la situation et l’urgence d’agir.
Compte-tenu de l’inertie de l’atmosphère et de la très longue durée de vie des gaz à effets de serre, les effets de nos émissions actuelles seront subis par les générations futures, avec les scénarios les plus graves conduisant à une planète inhabitable pour l’espèce humaine. Ces scénarios ne sont pas inéluctables ; le Giec (Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat) a conclu en 2018 qu’il serait possible de contenir le réchauffement, à condition de mettre immédiatement en place des mesures très fortes pour réduire les émissions. Tout délai à l’action réduit drastiquement les marges de manœuvres possibles pour les générations futures. Il en est de même pour la disparition de la biodiversité et pour l’artificialisation des sols.
Une autre difficulté est que certaines des actions nécessaires de réduction des émissions, d’adaptation, et de conservation des espaces naturels aggraveront les inégalités sociales de santé (de même que l’impact de l’inaction).
En termes de santé publique, il faut mettre en balance les bénéfices immédiats pour la santé d’une politique, et ces impacts sur les générations futures. La climatisation est un bon exemple : d’un côté, elle permet de se protéger relativement efficacement pendant les vagues de chaleur (tant qu’il y a de l’énergie pour la faire fonctionner). De l’autre, elle accroît immédiatement l’exposition des personnes non-équipées (la température extérieure aurait été 2°C plus élevée à Paris en 2003 si tous les bâtiments avaient été climatisés), tout en contribuant au réchauffement à long-terme.
Les impacts sur la santé du changement climatique ont été officiellement reconnus dans le préambule de l’accord de Paris en 2015, et dans un rapport spécial de l’ONU en 2017. Pourtant, les premiers travaux sur ce sujet datent des années 80. Les causes identifiées de cette faible prise en compte sont un focus sur les déterminants individuels de la santé au détriment des déterminants environnementaux et sociaux, une approche très économique qui dévalorise la santé des générations futures, et la difficulté pour les professionnels de santé à créer des liens avec des professionnels de l’environnement. Dans l’article, nous proposons trois pistes pour avancer :
- Mieux documenter et communiquer sur les impacts déjà observables et à venir, y compris envers des publics qui ne sont pas des interlocuteurs habituels de la santé.
- Développer une réelle interdisciplinarité dans les travaux développés, en allant vers des sciences de l’environnement, mais également des sciences humaines et sociales, et des artistes.
- Dans les études des impacts futurs, intégrer tous les scénarios, y compris les plus pessimistes que l’on souhaite éviter à tout prix (jusqu’à récemment, beaucoup d’études favorisaient des scénarios de réchauffement faible à moyen).
- Etudier davantage les répercussions des actions de réductions des émissions de gaz à effet de serre et de conservation de la nature, afin de mettre en évidence les cobénéfices, sans éluder les impacts négatifs possibles.
- Allouer des ressources suffisantes sur ces sujets.
L’InVS* travaillait sur le changement climatique depuis 2009, afin d’identifier les risques sanitaires susceptibles d’être influencés par le climat, documenter les impacts déjà observables, et promouvoir des mesures de prévention (adaptation). Ces travaux ont ainsi pu apporter des éléments dans le cadre de la préparation de la stratégie nationale d’adaptation et des plans nationaux d’adaptations. Depuis 2015, l’agence est de plus en plus sollicitée pour informer sur les impacts du changement climatique, en particulier dans le cadre des schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE) et des plans régionaux d’adaptation. Actuellement, un enjeu est de développer des indicateurs d’impacts pour alimenter les observatoires nationaux et régionaux des effets du changement climatique, qui servent de fondement à la mise en place de politiques d’adaptation. En parallèle de ces actions de plaidoyers, l’agence a participé à plusieurs travaux internationaux sur les impacts futurs de la température et de la pollution de l’air sur la santé.
Une stratégie globale est mise en place au sein de Santé publique France : elle s’appuie sur le comité d’appui thématique** mis en place en 2018 et sur un GEPP (Groupe d’échanges de pratiques professionnelles) ‘Changement climatique’ en cours de construction et impliquant l’ensemble des directions de Santé publique France pour intégrer cette dimension essentielle à l’ensemble des programmes de l’Agence.
[1] Pascal, M., Beaudeau, P., Medina, S. et al. Global Change: a Public Health Researcher’s Ethical Responsibility. Curr Envir Health Rpt (2019) 6: 160. https://doi.org/10.1007/s40572-019-00238-4
*Santé publique France est née en 2016, du regroupement de quatre organismes (l’Institut de Veille Sanitaire - InVS, l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé - INPES, l’Etablissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires - EPRUS et le groupement d’intérêt public Adalis - addiction, drogue, alcool info service).
** Comités d’appui thématiques : ces comités techniques ont pour but d’appuyer une équipe projet, plus particulièrement lorsque le projet implique un grand nombre de partenaires extérieurs à l’Agence. (Extrait du référentiel « Typologie des comités mobilisant des personnes qualifiées externes au sein de Santé publique France, 2017 »).