Depuis les années 1950, l’industrie du tabac a investi massivement dans la publicité ciblée vers les femmes cherchant à donner une image socialement positive de la cigarette. Depuis les années 2000, nombre des produits dérivés et spécifiquement dédiés aux femmes comme les cigarettes aromatisées ou les cigarettes ‘slim’ ont été mises sur le marché. Depuis les années 1970, le tabagisme masculin a fortement diminué contrairement au tabagisme féminin. En 2017, près d’une femme de 18 à 75 ans sur quatre (24 %) déclarait fumer tous les jours, contre 30 % chez les hommes. Les conséquences en termes de morbidité et de mortalité chez les femmes sont importantes et inquiétantes.
Cet article paru dans European Journal of Public Health détaille ces conséquences sur la santé des femmes. Ce travail est issu d’une collaboration de plusieurs directions de Santé publique France alliant diverses expertises que sont l’épidémiologie, le data management et la prévention. Une illustration du continuum entre la surveillance, la prévention et l’action, véritable signature de Santé publique France.
3 questions à Valérie Olié, épidémiologiste
Dans cette étude nous avons choisi d’étudier les évolutions de la morbidité et la mortalité de trois pathologies particulièrement liées au tabac qui ont longtemps été considérées comme des pathologies presque exclusivement masculines : le cancer du poumon, la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et l’infarctus du myocarde.
Soulignons que dans l’absolu, ces indicateurs restent assez largement défavorables aux hommes, ceux-ci fumant davantage que les femmes en France, encore aujourd’hui avec un écart de 6 points de prévalence du tabagisme quotidien en 2017.
Concernant la morbidité, entre 2002 et 2012 l’incidence du cancer du poumon a globalement augmenté de 72% chez les femmes alors qu’elle est restée stable chez les hommes. Pour la BPCO, le taux de patients hospitalisés pour une exacerbation a doublé chez les femmes entre 2002 et 2015 alors qu’il n’a augmenté que de 30% chez les hommes. Enfin, pour l’infarctus du myocarde si le taux de patientes hospitalisées était globalement stable sur la période, il masquait une évolution très défavorable chez les femmes jeunes.
Concernant la mortalité, entre 2000 et 2014, les taux de mortalité par cancer du poumon et BPCO ont respectivement augmenté de 71 et 3% chez les femmes alors qu’ils ont diminué de 15 et 21% chez les hommes. Enfin, lorsque l’on considérait l’ensemble des pathologies liées au tabac, le pourcentage de décès attribuables au tabac chez les femmes montrait une très forte progression depuis l’année 2000 avec un taux de croissance annuel moyen continu de 6 % entre 2000 et 2014 (contre une baisse de 1 % pour les hommes).
Les données montrent que les augmentations de morbi-mortalité chez les femmes sont particulièrement importantes chez les femmes entre 45 et 64 ans. Cela correspond à un effet générationnel avec l’arrivée dans ces tranches d’âge des femmes nées dans les années 1950 qui ont commencé à fumer dans les années 60-70. Si la tendance à la baisse chez les femmes plus jeunes ne peut que constituer un signal encourageant elle ne doit faire oublier que les niveaux de consommation sont encore très élevés, notamment en comparaison des pays anglo-saxons où la prévalence du tabagisme chez les femmes s’élève à 14 % aux États-Unis et en Grande Bretagne. Ces niveaux de consommation en France laissent présager une aggravation des tendances observées en matière de morbi-mortalité liée au tabac dans les années à venir si ces femmes ne parvenaient pas à arrêter de fumer. De plus, les tendances actuelles de la morbidité liée à la BPCO et au cancer du poumon reflètent les tendances passées du tabagisme, ces pathologies apparaissant après une exposition cumulée à la fumée de tabac sur plusieurs années. Le fardeau lié à ces pathologies chez la femme devrait donc continuer de croître dans les années à venir, même en cas de décroissance de la prévalence du tabagisme. Ce phénomène devrait être amplifié par le vieillissement de la population et l’amélioration de la survie des patients atteints d’autres pathologies liés au tabac comme l’infarctus du myocarde. Contrairement au cancer du poumon et à la BPCO pour lesquels il existe un temps de latence entre la consommation et le développement de la pathologie, une diminution massive de la prévalence du tabagisme pourrait avoir un impact à relativement court terme sur l’incidence de l’infarctus du myocarde.
Concernant les actions d’incitation au sevrage et plus particulièrement les campagnes médiatiques, la littérature ne permet pas complètement de conclure à l’intérêt de campagnes spécifiques pour les femmes, les motivations pour arrêter de fumer étant, en partie, les mêmes chez les hommes et les femmes. Néanmoins, une stratégie d’achat d’espace média adaptée peut permettre aux femmes d’être davantage exposées aux campagnes d’incitation à l’arrêt du tabagisme : c’est donc ce que fait Santé publique France depuis quelques années, en particulier autour du dispositif Mois sans tabac. De plus, en dehors des campagnes grand public, certaines études récentes montrent qu’il pourrait être pertinent de différencier les aides à l’arrêt du tabac proposées selon le sexe, au niveau individuel. En effet, il apparait de plus en plus clairement qu’une approche de l’aide à l’arrêt du tabac chez les femmes doit tenir compte des différences dans les processus d’addiction au tabac entre les hommes et les femmes qui ont comme conséquence une sensibilité différente aux traitements existants. Cette voie reste à investiguer mais pourrait conduire à promouvoir des modalités de prise en charge différenciées en pratique clinique.
Valérie Olié, Anne Pasquereau, Frank A G Assogba, Pierre Arwidson, Viet Nguyen-Thanh, Edouard Chatignoux, Amélie Gabet, Marie-Christine Delmas, Christophe Bonaldi. Changes in tobacco-related morbidity and mortality in French women: worrying trends. European Journal of Public Health, ckz171.