Les études sur les effets potentiels des pesticides sur la santé font l’objet d’une littérature scientifique abondante : défauts du système reproducteur chez le garçon et la fille, cancers pédiatriques, défauts cognitifs, symptômes respiratoires, maladies neurodégénératives, etc. Si certains de ces effets ont été montrés chez les agriculteurs dans le contexte d’exposition professionnelle, les effets d’une exposition d’origine non-professionnelle aux pesticides utilisés sur les cultures agricoles pour les personnes résidant à proximité de ces cultures sont moins connus. Les études épidémiologiques disponibles font appel à des méthodes diverses présentant des limites ou des biais importants, notamment dans la prise en compte de l’exposition réelle aux pesticides.Quelle est la méthode la plus solide pour mesurer l’exposition aux pesticides chez les riverains de zones agricoles ? Avec cette question en tête, une équipe de Santé publique France a réalisé une revue de la littérature récente des études réalisées ces dernières années.L’article paru ce mois-ci dans la revue Environment International apporte des éléments de réponse. Il s’agit là de la première revue de la littérature réalisée avec cet objectif.
3 questions à Clémentine Dereumeaux, Santé publique France
Nous avons réalisé une revue de la littérature scientifique à partir des bases de données PubMed et Scopus. Notre recherche ciblait les articles publiés entre le 1er janvier 2003 et le 31 décembre 2018. Nous nous sommes intéressés spécifiquement aux articles fournissant des données originales de mesures d’exposition non-professionnelle aux pesticides chez les riverains de zones agricoles. Sur les 549 articles ainsi repérés, une première analyse, à partir de leurs titres et résumés, a permis d’exclure ceux ne présentant pas de résultats nouveaux (revues de la littérature, articles méthodologiques, etc.) ou étant en dehors du champ de la recherche (études animales, toxicologiques, évaluation des risques, etc.). Ces 252 articles restant ont ensuite été analysés selon les critères relatifs à l’exposition étudiée et à la population d’étude. N’ont été conservés que ceux étudiant les pesticides dans un contexte agricole et les riverains de cultures. Ont également été exclus les articles dont la population d’étude était la population générale ou les travailleurs agricoles dès lors que la proximité du lieu de résidence avec des cultures agricoles n’était pas prise en compte. Au final, une trentaine d’articles ont été retenus pour cette revue de littérature. Les études correspondantes ont été classées en trois types selon la méthode de mesures de l’exposition aux pesticides : les études se basant sur la réalisation de mesures environnementales (air intérieur, air ambiant, poussières), celles réalisant des mesures biologiques (biomarqueurs d’exposition ou d’effets dans les urines, le sang, le sang de cordon, les cheveux, les dents, la salive) et celles combinant les deux approches.
La majorité des études considérées dans cette revue de littérature incluait un groupe contrôle, soit en constituant un groupe d’individus ne résidant pas à proximité de zones agricoles, soit en réalisant des mesures pendant et hors période de traitement en pesticides dans les cultures. La plupart de ces études mettent en évidence que les individus résidant à proximité de zones agricoles ont une exposition aux pesticides plus élevée que celle des groupes contrôle. Les niveaux d’exposition aux pesticides sont influencés par la distance entre le lieu de résidence et la culture la plus proche, et surtout par la surface des cultures à proximité du logement. Toutefois, les résultats ne sont pas toujours constants pour un même pesticide ou pour un même type de mesures de l’exposition.
La mesure de l’exposition aux pesticides imputable à la présence de cultures à proximité du lieu de résidence est complexe. En effet, les sources d’exposition aux pesticides sont très nombreuses et concernent également l’ensemble de la population générale par le biais de l’alimentation, l’usage de pesticide au domicile, la profession, etc. Cette revue de la littérature permet de mettre en évidence les méthodologies d’études les plus à même de mesurer l’exposition aux pesticides imputable à la présence de cultures à proximité du lieu de résidence. Les points les plus importants à retenir sont : l’inclusion d’un groupe contrôle (individus non-riverains de cultures), la réalisation de mesures à la fois environnementales et biologiques, et à différents moments de l’année, l’inclusion de plusieurs sites d’étude et la mesures de pesticides spécifiques de chaque culture. Toutefois, ce type d’étude reste rare, en particulier en France.
La Direction générale de la santé, par une saisine datée du 1er février 2016, a questionné Santé publique France sur la pertinence et la faisabilité de la réalisation d’une étude épidémiologique portant sur les liens entre l’exposition aux pesticides et la survenue de cancers pédiatriques dans les zones viticoles. Après avoir pris l’attache des principales équipes de recherche et organismes compétents dans le domaine de l’épidémiologie des cancers de l’enfant, Santé publique France a proposé la mise en œuvre de deux études :
- Une étude nationale sur le lien entre cancers de l’enfant et proximité de cultures, à laquelle participent l’équipe de recherche Inserm-EPICEA (Epidémiologie des cancers de l’enfant et de l’adolescent), pilote du programme Géocap, ainsi que Santé publique France. Cette étude bénéficie d’un financement Anses.
- Une étude d’exposition chez les riverains de viticulture (étude PestiRiv) réalisée en collaboration avec l’Anses. Les enseignements de cette revue de la littérature ont été pris en compte pour l’étude PestiRiv. Nous avons ainsi prévu de réaliser une étude multicentrique auprès de riverains et de non-riverains de viticulture, couplée à des mesures biologiques dans les urines et les cheveux, et des mesures environnementales dans plusieurs milieux (air ambiant, poussières, eau, aliments, etc.). Ces mesures auront lieu pendant et hors période d’épandage. La mise en place de cette nouvelle étude permettra de produire des données objectives sur l’exposition des riverains de viticulture. Le terrain de l’étude PestiRiv débutera en 2021.
En savoir plus :
Clémentine Dereumeaux, Clémence Fillol, Philippe Quenel, Sébastien Denys. Pesticide exposures for residents living close to agricultural lands: A review. Environment International, Volume 134, 2020, 105210.