Stratégies de dépistage pour le contrôle de la COVID-19 dans les maisons de retraites : dépistage universel ou ciblé ?

Testing strategies for the control of COVID-19 in nursing homes: Universal or targeted screening? 

Publié le 19 octobre 2020

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La surveillance de la pandémie nous a rapidement appris que les personnes les plus vulnérables au SARS-CoV-2 étaient les personnes de plus de 65 ans, et en particulier les personnes âgées vivant en Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). 

Au total entre le 9 mai et le 5 octobre 2020, 574 clusters (survenue d’au moins 3 cas confirmés ou probables, dans une période de 7 jours) ont été signalés en Ehpad incluant 8 120 cas. À ce jour, le nombre de clusters demeure élevé avec entre 70 et 90 clusters signalés par semaine dans le système d’information MONIC (MONItorage des Clusters), développé par Santé publique France. 

Entre le 1er mars au 4 octobre, on on compte 40 181 cas confirmés chez les résidents et 19 947 chez le personnel. Depuis le mois d’avril 2020, la recommandation est de tester tous les personnels dès qu’un cas est confirmé dans un établissement que ce soit chez un résident ou chez un personnel. Le dépistage des résidents n’est recommandé qu’à partir de 3 cas suspects chez des résidents.

Que nous apprennent ces stratégies de dépistage en termes d’efficacité ? C’est à cette question que répondent les auteurs de la Lettre à l’Editeur paru ce mois-ci dans la revue Journal of Infection [1] et se rapportant à une investigation d’épidémie survenue à Londres dans des résidences pour personnes âgées décrite dans cette revue. Cette lettre est co-signée par plusieurs partenaires régionaux dont la CPias des Pays de la Loire et Santé publique France.

3 questions à Lisa King, Santé publique France et Gabriel Birgand, CHU Nantes

photo de Lisa King
Photo de Gabriel Birgand

Quelles sont les caractéristiques de ces investigations d’épidémies de COVID-19 concernant les résidents et le personnel des établissements pour personnes âgées du centre de Londres ? Pourquoi cette publication a-t-elle mobilisé votre attention ?

Les conclusions des investigations d’épidémie présentées dans l’article londonien nous ont interpellées. Elles confirment encore une fois le fort impact potentiel de SARS-CoV-2 en termes de morbidité et mortalité dans les Ehpad. Les investigations ont montré que 60 % des résidents testés positifs pour le virus dans les 4 Ehpad concernés étaient asymptomatiques, ce qui rend difficile leur identification et la mise en place des mesures de gestion dans l’établissement. Par ailleurs, 4 % des professionnels travaillant dans ces établissements au moment du dépistage et sans symptômes ont également été testés positifs pour SARS-CoV-2. Ces constats orientent vers la présence d’un réservoir silencieux de SARS-CoV-2 au sein des Ehpad, ce qui pose question quant à la gestion des foyers épidémiques. Face à ces résultats et compte-tenu de l’impact potentiel de ce virus chez les personnes âgées, les auteurs recommandent un dépistage systématique et régulier couplé à une surveillance renforcée afin de minimiser l’impact de futures épidémies au sein de ces établissements.

Vous mettez ces résultats en perspective dans une analyse de 50 Ehpad du département de Vendée. Quelles sont les principales leçons que vous pouvez tirer de cette analyse ? Cela correspond-il à ce qui est décrit dans l’article londonien, et plus largement dans la littérature à ce jour ?

En Vendée, les autorités sanitaires recommandent depuis mai un dépistage systématique de tous les résidents et tout le personnel dès l’identification d’un cas. Par ailleurs, certains établissements ont, sur la base du volontariat et à la fin du confinement, mis en place un dépistage systématique pour évaluer le ‘réservoir invisible’ de virus.

Les résultats de notre analyse des données en Vendée, sont cohérents avec les constats de l’article londonien concernant la présence d’un réservoir silencieux de SARS-CoV-2 dans les Ehpad.

Nous avons observé que le fait de tester uniquement les professionnels face à un résident ou un professionnel positif dans un établissement peut amener à ne pas identifier des résidents infectés et asymptomatiques. En parallèle, 6 % des Ehpad ayant réalisé un dépistage universel en l’absence de cas confirmé à l’origine de la démarche ont ainsi identifié une personne infectée, voire plus, cas qui seraient passés inaperçus sans ce dépistage.

Notre analyse, menée après le confinement national, soit dans un contexte épidémiologique de faible incidence de COVID-19, montre en Vendée un pourcentage plus important de personnes asymptomatiques (82 %) que ce qui est publié dans la littérature (40,7 % à 57 %). Nous concluons ainsi qu’une surveillance basée sur la présence de symptômes ‘classiques’ de COVID-19 (fièvre, toux, difficultés à respire, maux de gorge, fatigue/malaise, maux de tête, douleurs musculaires, nausée/vomissement, diarrhée, anosmie, agueusie) expose au risque de laisser passer des personnes infectées et peut par là-même entraver une gestion efficace d’un épisode de SARS-CoV-2, car des personnes asymptomatiques ou présentant des symptômes autres que les symptômes ‘classiques’ peuvent contribuer à la transmission virale. 

Avec plus de 40 000 cas confirmés et près de 15 000 décès chez les résidents en Ehpad entre mars et septembre 2020, la question de la stratégie de dépistage est importante. Quelles seraient alors la meilleure stratégie de dépistage dans ces établissements ? Cela correspond-ils aux recommandations actuelles ?

Dans le contexte épidémiologique vendéen (faible incidence de COVID-19), et lors de la période de post-confinement avec montée en charge des capacités de dépistage, un dépistage universel en l’absence de premier cas confirmé ne paraît pas une démarche efficiente face aux ressources à mobiliser et à la nature invasive du prélèvement pour les résidents et le personnel. En revanche, un dépistage systématique face à la présence d’un premier cas confirmé nous paraît souhaitable pour investiguer et gérer la présence d’éventuels infections asymptomatiques. La stratégie doit cependant faire l’objet d’une évaluation contextuelle de l’exposition, du respect des mesures barrières et du risque de transmission. Les Centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPias) possèdent cette expertise et sont à la disposition des établissements. De manière plus générale, la stratégie nationale actuellement basée sur un dépistage systématique de tout professionnel et résident autour d’un cas devra faire l’objet d’évaluations coût-efficacité et d’adaptations.

[1] Birgand G, Blanckaert K, Deschanvres C, Vaudron A, Loury P, King L. Testing strategies for the control of COVID-19 in nursing homes: Universal or targeted screening ? Journal of Infection, 2020, p. 1-10. Published 2020. https://doi.org/10.1016/j.jinf.2020.08.002