Les déterminants des comportements de prévention dans le contexte de la pandémie de Covid-19 : le rôle respectif des facteurs socioculturels, psychosociaux et sociocognitifs

Determinants of Preventive Behaviors in Response to the COVID-19 Pandemic in France: Comparing the Sociocultural, Psychosocial, and Social Cognitive Explanations.

Publié le 20 janvier 2021

Les interventions mises en œuvre par les différents pays pour contrôler la diffusion du virus SARS-CoV-2 vont de la promotion de mesures de distanciation sociale et d’hygiène à des mesures plus coercitives telles que le confinement de tout ou partie d’une population. Si l’efficacité de ces mesures est aujourd’hui bien démontrée, elles sont très dépendantes de la manière dont la population s’en empare et adhère aux recommandations émises par les autorités nationales.

Quel a été, en France, le niveau d’adoption de ces mesures pendant le premier confinement et quels sont les déterminants de cette adoption ? Mieux comprendre les facteurs sociaux et psychologiques qui sous-tendent cette adoption est une des clés pour mettre en place des interventions efficaces pour tous ou ciblées vers des populations spécifiques.

S’appuyant sur des recherches récentes, les auteurs ont abordé cette question en mettant en concurrence trois catégories de facteurs permettant d’expliquer l’adoption des mesures de protection : les facteurs socioculturels, les facteurs psychosociaux et les facteurs sociocognitifs. Les résultats de ces travaux sont décrits dans l’article paru récemment dans la revue Frontiers in Psychology 1.

 

3 questions à ... Jocelyn Raude (EHESP) et Jean-Michel Lecrique (Direction de la prévention et de la promotion de la santé, Santé publique France)

Jocelyn Raude
Jean-Michel Lecrique

Expliquer l’adoption des comportements favorables à la santé dans un contexte épidémique nécessite de prendre en compte des facteurs multidimensionnels interagissant de manière complexe. Comment avez-vous abordé cette question ? Quelles sont les trois catégories de variables explicatives que vous avez retenues pour votre étude ?

De nombreuses études épidémiologiques ont montré que les comportements individuels et collectifs jouent un rôle fondamental dans la propagation des maladies infectieuses. C’est pourquoi il est important de comprendre, dans une logique de prévention et de promotion de la santé, comment les populations réagissent aux risques infectieux, et pourquoi certaines personnes adoptent des comportements très protecteurs tandis que d’autres ne font pas grand-chose, que ce soit en matière d’hygiène ou d’interaction sociale.

Toutefois, jusqu’à la pandémie de Covid-19, il n’existait pas beaucoup de travaux sur les déterminants de la réponse comportementale aux maladies infectieuses respiratoires. Cela s’explique sans doute par le fait que les dernières grandes épidémies qui ont frappé l’Europe ou l’Amérique du Nord datent des années 50-60. Or les sciences humaines ont surtout commencé à s’intéresser aux comportements en lien avec la santé à partir des années 80 …

Du coup, nous avons dû faire appel dans nos travaux à des modèles explicatifs qui ont été conçus pour comprendre la réaction des populations aux risques de maladies dégénératives, comme les cancers ou les maladies cardiovasculaires. Nous avons notamment sélectionné des variables potentiellement explicatives des comportements favorables à la santé issus de trois approches très convaincantes dans le champ des maladies non-infectieuses :

  • l’approche socioculturelle qui a montré de manière répétée l’existence d’un gradient social dans les attitudes face à la maladie (notamment en fonction du capital économique et culturel dont disposent les individus) ;
  • l’approche psychosociale qui prend en compte les variables interindividuelles comme le soutien social ou la confiance ;
  • et enfin l’approche sociale-cognitive qui met l’accent sur les croyances normatives et factuelles pour expliquer les différences de réaction des individus face à la maladie.

Quelles sont les principales conclusions de votre étude concernant le niveau d’adoption des mesures de protection lors du premier confinement et les déterminants de cette adoption ?

Notre première surprise a été le niveau très élevé d’adhésion des Français aux mesures de santé publique pour lutter contre l’épidémie. Lors des premières semaines de l’épidémie, près de 95 % de nos concitoyens déclaraient respecter les principales mesures de prévention recommandées par les pouvoirs publics. Ces données peuvent paraître très étonnantes lorsqu’on raisonne sur la base de stéréotypes culturels qui font des Français une population plutôt incivique et indisciplinée !

Même si on ne peut pas complétement exclure un certain travestissement de la réalité comportementale de la part de nos enquêtés, ces résultats ont été confirmés par des études internationales, notamment à travers l’analyse des données de mobilité collectées via les téléphones mobiles pour lesquelles les biais déclaratifs n’existent pas …

S’agissant des facteurs explicatifs, nous avons mis en évidence que seul un petit nombre d’entre eux jouaient un rôle clé dans l’adoption de comportements protecteurs. Pour commencer, nous avons observé que les facteurs socioculturels et psychosociaux qui sont habituellement bien corrélés aux comportements, comme l’éducation ou le statut professionnel, jouaient un rôle relativement secondaire dans l’adoption de mesures de prévention.

Ainsi, seuls l’âge et, dans une moindre mesure, le sexe des répondants semblent avoir eu un impact durable sur l’adhésion aux recommandations sanitaires. En fait, la variable la plus explicative des comportements de prévention était la norme sociale perçue par les sujets : tout se passe comme si, dans cette situation épidémiologique complexe, nos concitoyens s’étaient alignés spontanément sur ce qu’ils percevaient comme étant le comportement attendu dans leur cercle amical ou familial. 

Bien entendu, comme il existe sur le plan psychologique des différences notables entre les maladies infectieuses émergentes et les maladies dégénératives, les premières étant généralement moins bien connues et moins prévisibles que les secondes, on ne devait pas s’attendre à ce que les facteurs explicatifs des comportements soient exactement les mêmes dans les deux cas.

Le respect des mesures de protection recommandées par les autorités de santé publique était et reste crucial pour le contrôle de l’épidémie. Votre étude apporte t’elle des pistes en termes de prévention pour améliorer le niveau d’adoption de ces mesures, notamment chez ceux qui les adoptent le moins ?

Pour commencer, il faut rappeler qu’il est difficile d’améliorer sensiblement une situation dans laquelle le niveau d’adhésion et de coopération de la population, et en particulier des groupes les plus à risque, est déjà très élevé. C’est ce que les économistes appellent les rendements marginaux décroissants : convaincre les derniers « réfractaires » à la prévention est extrêmement coûteux, voire même contre-productif dans certains cas.

Toutefois, sur le long terme, au fur et à mesure qu’un relâchement des comportements s’opère dans les populations en raison de la lassitude de mesures qui sont indiscutablement contraignantes, il peut être utile de rappeler quelle est la norme sociale, c’est-à-dire le comportement majoritaire.

De même, il peut être utile de faire savoir que l’adoption de comportements protecteurs est non seulement valorisée ou soutenue par les pouvoirs publics ou les professionnels de santé, mais aussi par la grande majorité de nos concitoyens. Ce type de stratégie repose sur notre prédisposition au conformisme qui s’exerce d’ailleurs autant sur les comportements favorables à la santé que sur les comportements à risque. 

Dans le champ de la prévention des maladies ou de l’environnement, il existe aujourd’hui de nombreuses preuves expérimentales qui montrent que le rappel par différents modes de communication de la norme sociale dominante dans un groupe ou dans une communauté permet de soutenir un processus de changement…

Pour en savoir plus

  • Sur les modèles explicatifs des comportements utilisés en sciences humaines : Gallopel-Morvan K, Nguyen-Thanh V, Arwidson P, Hastings G. (2019). Marketing social. De la compréhension des publics au changement de comportement. Rennes : Presses de l'EHESP : 208 p.
  • Sur l’apport en sciences du comportement des données de mobilité collectées via les téléphones portables : Oliver N., Lepri B., Sterly H., Lambiotte R., Deletaille S., De Nadai M., Vinck P. (2020). Mobile phone data for informing public health actions across the COVID-19 pandemic life cycle. Science Advances Vol. 6, no. 23, eabc0764.
  • Sur la résistance au changement de comportement dans le domaine de la prévention : Weinstein N. D., Klein W. M. (1995). Resistance of personal risk perceptions to debiasing interventions. Health psychology, 14(2), 132.
  • Sur l’enquête CoviPrev, l’enquête de Santé publique France de suivi de l’évolution des comportements et de la santé mentale pendant l'épidémie : https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/covid-19-une-enquete-pour-suivre-l-evolution-des-comportements-et-de-la-sante-mentale-pendant-l-epidemie 

1 Raude J, Lecrique JM, Lasbeur L, Leon C, Guignard R, du Roscoät E, Arwidson P. Determinants of Preventive Behaviors in Response to the COVID-19 Pandemic in France: Comparing the Sociocultural, Psychosocial, and Social Cognitive Explanations. Front Psychol. 2020 Nov 30;11:584500. doi: 10.3389/fpsyg.2020.584500. PMID: 33329241; PMCID: PMC7734102.