Le vécu d’événements extrêmes, comme les attentats, est associé à des troubles psychiques et physiques qui peuvent persister longtemps. Un enjeu important de santé publique est d’en quantifier la fréquence, d’identifier les facteurs de risque et de protection des séquelles post-traumatiques et de mieux connaitre la prise en charge des personnes impliquées pour proposer d’éventuelles pistes d’amélioration et des préconisations pour la prévention, le dépistage et la prise en charge par le système de santé. Santé publique France s’est mobilisée pour mettre en place des études épidémiologiques dès les attentats de Janvier 2015 (enquête IMPACTS, avec le soutien de la fondation d’aide aux victimes du terrorisme et l’Agence régionale de santé d’Île de France).
Le 13 novembre 2015, plusieurs attentats terroristes ont eu lieu à Paris et dans la ville voisine de Saint-Denis : trois attentats à la bombe à Saint-Denis, trois fusillades, un attentat à la bombe et une fusillade à grande échelle et prise d'otages au Bataclan à Paris. 130 personnes ont été tuées et 643 ont été blessées. Des milliers d’intervenants ont été mobilisés cette nuit-là et dans les semaines qui ont suivies. Suite aux attentats de novembre 2015, Santé publique France a construit une étude spécifique de santé publique, baptisée ESPA 13 novembre, pour « Enquête de santé publique post-attentats du 13 novembre 2015 ». ESPA 13 novembre s’inscrit dans un dispositif plus global de recherche transdisciplinaire, appelé programme 13-Novembre. Ce programme est porté scientifiquement par l’Inserm et le CNRS et administrativement par l’HESAM Université (Hautes Écoles Sorbonne Arts et Métiers Université).
L’article paru ce mois-ci dans la revue Occupational Medecine apporte des connaissances nouvelles sur le recours aux soins de santé mentale des intervenants après des attentats.
3 question à Yvon Motreff, Santé publique France
Rappelons avant tout que l’enquête ESPA 13 novembre s’est adressée à toutes les personnes répondant aux critères d’exposition pouvant entraîner le développement de trouble de stress post-traumatique (TSPT). Y ont participé, d’une part, des personnes directement exposées et des proches de personnes décédées ou blessées1, et d’autres part, des intervenants.
L’article qui vient d’être publié porte sur les intervenants, à savoir toute personne ayant, dans le cadre de son activité professionnelle ou associative, été mobilisée la nuit du 13 novembre 2015 ou dans les trois semaines qui ont suivi. Peu d’études ont porté sur la fréquence des troubles de stress post-traumatique chez les intervenants et peu de données sont disponibles sur le recours aux soins de cette population. De plus et pour la première fois dans ce type d’enquête en France, nous avons analysé les raisons d’une non prise en charge des intervenants présentant un trouble de stress post-traumatique ou/et une dépression.
Entre le 7 juillet et le 10 novembre 2016, 663 intervenants (pompiers, sécurité civile de Paris, Croix-Rouge, police, personnels de l’Assistance publique -Hôpitaux de Paris (AP-HP)) ont accepté de participer et ont complété le questionnaire : 34 % étaient des professionnels de santé, 32 % des sapeurs-pompiers de Paris, 20 % des associatifs de protection civile et 14 % des forces de l’ordre. La fréquence des troubles de stress post-traumatique probables était de 4,8 % et variait de 3,4 % (sapeurs-pompiers) à 9,5 % (forces de police) selon les catégories d’intervenant.
L’étude des facteurs associés au TSPT (complet ou partiel), qui a fait l’objet d’une publication antérieure, a mis en évidence plusieurs facteurs permettant de repérer les populations à risque et ainsi d’orienter le dépistage et la prise en charge : le faible niveau d’étude, le fait d’être intervenu sur lieu non sécurisé et le sentiment d’isolement social. La préparation et la formation semble, elle, jouer un rôle protecteur vis-à-vis du TSPT. Cela illustre l’importance de continuer les actions de formation et de sensibilisation à l’ensemble des acteurs intervenant aux décours d’attaques terroristes.
Cette nouvelle publication montre que parmi les intervenants présentant un trouble de stress post-traumatique complet ou partiel ou une dépression, près de deux tiers n’avaient pas engagé de suivi psychologique régulier. L’initiation d’un suivi psychologique régulier est associée avec les antécédents de suivi psychologique, le soutien psychologique post-immédiat et la présence d’un TSPT complet ou partiel ou d’une dépression. Chez les personnes présentant un TSPT complet ou partiel ou une dépression, les motifs de non recours aux soins évoqués étaient : la non reconnaissance du besoin de soins, des raisons organisationnelles, des raisons financières ainsi que la peur d’être stigmatisé.
Nos résultats indiquent que l’accès aux soins psychologiques réguliers des personnels qui sont intervenus dans les suites de ces attentats doit être amélioré.
Nos résultats montrent qu’une grande partie des intervenants qui avaient besoin de soin n’en ont pas eu. Plusieurs approches complémentaires peuvent être mises en place pour favoriser le recours au soin. Tout d’abord, l’information et la formation sur les troubles de la santé mentale pouvant survenir à la suite d’une intervention potentiellement traumatique doit être renforcée. En effet, de par leur profession et leur culture, il est difficile pour les intervenants d’admettre qu’ils peuvent avoir besoin de soin. Il est donc primordial d’aider les intervenants à prendre conscience de ces risques, de les former à reconnaitre les symptômes des troubles pouvant survenir et de les amener à partager cela avec leurs collègues ou des professionnels de santé. Cette dimension doit donc faire partie intégrante de leurs compétences et de leurs normes professionnelles. L’information et la formation peut être faite lors de la formation initiale des intervenants mais devrait également être poursuivie tout au long de leur carrière. Des actions ponctuelles de sensibilisation pourraient également être faites après une intervention potentiellement traumatique.
Ensuite, nos résultats montrent également un cercle vertueux où l’accompagnement immédiat favorise le suivi post-immédiat qui à son tour favorise la prise de conscience d’un besoin de recours aux soins. La mise en œuvre de l’accompagnement immédiat et post-immédiat semble donc être une piste intéressante à suivre pour favoriser le recours aux soins.
Nos résultats indiquent également que les modalités pratiques d’accès aux soins doivent être adaptées au plus près des besoins des intervenants. Pour certains, il peut être plus facile d’aller chercher un soutien au sein de son institution, pour d’autres au contraire, le thérapeute devra être extérieur à l’institution sans que cela devienne un frein financier ou que l’organisation soit trop compliquée à mettre en œuvre.
Pour finir, des évaluations de la santé mentale des personnels intervenant pourraient être proposées systématiquement après des interventions potentiellement traumatiques telles que des attentats. C’est par exemple ce qui a été proposé à l’ensemble des sapeurs-pompiers de Paris intervenus suites aux attentats du 13 novembre 2015. Des évaluations annuelles de routine pourraient également être mises en place permettant ainsi de faire le point chaque année et de proposer une prise en charge avant que les troubles ne deviennent chroniques.
Une enquête menée par le CHU de Nice, et à laquelle Santé publique France a contribué, sur le personnel hospitalier exposé aux attentats du 14 juillet 2016 a également montré des résultats similaires à savoir une prévalence de TSPT de 9 % et un faible recours au soin puisque moins de 30 % des personnels qui présentaient un TSPT ont engagé un suivi psychologique régulier.
Les études longitudinales faites auprès des intervenants des attentats du 11 septembre 2001 à New-York montrent un impact très variable selon les personnes : certaines présentent des troubles qui persistent plusieurs années après l’exposition, d’autres présentent une amélioration de leur état et enfin d’autres ne présentant pas de troubles à un an ont développé des troubles plus tardivement. Hormis ces études américaines, les recherches post-attentats sont principalement des études transversales, qui ne permettent pas de comprendre l’évolution dans le temps et les possibles liens de causalité. C’est pourquoi une deuxième phase d’enquête a été lancée 5 ans après les attentats du 13 novembre 2015 visant à estimer l’impact psycho-traumatique à plus long terme, et l’évolution entre la première et la deuxième phase. Cette enquête permettra également de décrire et comparer le recours aux dispositifs de prise en charge depuis les attentats. Cette deuxième phase d’ESPA 13 novembre s’est déroulée du 6 novembre 2020 au 5 avril 2021. Près de 500 intervenants ont répondu dont environ deux tiers avaient déjà participé à la première phase. Les premiers résultats sont attendus pour la fin de l’année 2022.
Il est essentiel de poursuivre les recherches à long terme pour mieux appréhender les réactions et les réponses aux attentats, ainsi que les facteurs qui les influencent. Pour bien comprendre les conséquences des attentats sur la société française et les facteurs qui sont en jeu, il faut pouvoir les comparer avec des événements semblables dans d’autres pays. Dans cette optique, il est incontournable de renforcer la collaboration internationale.
En savoir plus
Sur les autres articles cités
Vandentorren S, Pirard P, Sanna A, Aubert L, Motreff Y, Dantchev N, Lesieur S, Chauvin P, Baubet T. Healthcare provision and the psychological, somatic and social impact on people involved in the terror attacks in January 2015 in Paris: cohort study. Br J Psychiatry. 2018 Apr;212(4):207-214.
Motreff Y, Baubet T, Pirard P et al. Factors associated with PTSD and partial PTSD among first responders following the Paris terror attacks in November 2015. J Psychiatr Res 2019;121:143–150.
Use of mental health supports by civilians exposed to the November 2015 terrorist attacks in Paris. Pirard P, Baubet T, Motreff Y, Rabet G, Marillier M, Vandentorren S, Vuillermoz C, Stene LE, Messiah A. BMC Health Serv Res. 2020 Oct 20;20(1):959. doi: 10.1186/s12913-020-05785-3.
Bentz L, Vandentorren S, Fabre R, Bride J, Pirard P, Doulet N, Baubet T, Motreff Y, Pradier C. Mental health impact among hospital staff in the aftermath of the Nice 2016 terror attack: the ECHOS de Nice study. BMC Public Health. 2021 Jul 10;21(1):1372.
Sur l’enquête ESPA 13 novembre :
1 L’étude de la fréquence des troubles psycho-traumatiques chez les populations civiles exposées a fait l’objet d’un article précédent. Elle met en évidence un impact majeur parmi les répondants puisqu’un trouble de stress post-traumatique a été considéré comme probable pour plus de la moitié (54 %) des menacés directs (directement visés, blessés), et 25 % des témoins. Pour les endeuillés sans autre exposition, la fréquence du trouble de stress post-traumatique probable était de 54 %. Pourtant, parmi les personnes atteintes d’un trouble de stress post-traumatique probable, seulement un peu plus de la moitié, 54 %, déclaraient avoir engagé un traitement régulier avec un psychologue ou un médecin avec à souffrance égale, une moins bonne couverture de soins pour les témoins que pour les directement menacés.
Référence de l'article
Y Motreff, P Pirard, C Vuillermoz, G Rabet, M Petitclerc, L Eilin Stene, T Baubet, P Chauvin, S Vandentorren, Mental health care utilization by first responders after Paris attacks, Occupational Medicine, 2021;, kqab150.