En Europe, plusieurs évènements ces dernières décennies ont eu un retentissement important sur l’adhésion vaccinale. C’est le cas en France lors de la polémique dans les années 1990 autour du vaccin contre l’hépatite B et son lien supposé avec la sclérose en plaques ; plus récemment la controverse autour du vaccin contre la grippe A (H1N1) de 2009. La Grande-Bretagne a connu un phénomène similaire lors de la diffusion de fausses informations affirmant un lien entre la vaccination contre la rougeole et l’autisme, allant jusqu’à entraîner la recrudescence des épidémies de rougeole. Ces évènements ont été suivis d’une baisse de l’adhésion vaccinale et concomitante d’une rapide augmentation de l’hésitation vaccinale, définie par l’OMS comme le fait de retarder ou de refuser une vaccination sûre malgré sa disponibilité.
Qu’en est-il aujourd’hui et quels sont les déterminants sous-jacents à l’hésitation vaccinale ? Quelles pistes pour relancer la confiance dans la vaccination ? C’est à ces questions que les auteurs de l’article paru ce mois-ci dans la revue Vaccine [1] apportent des réponses.
3 questions à : Sophie Vaux, Direction des Maladies Infectieuses - Oriane Nassany, Direction de la Prévention et Promotion de la Santé - Arnaud Gautier, Direction Appui, Traitement et Analyse des Données Santé publique France.
La « méfiance » vis à vis de la vaccination, qui revêt plusieurs formes d’attitudes intermédiaires entre les pro et les anti-vaccination est en effet difficile à mesurer : diverses études ont fourni des estimations pour des populations particulières comme les parents d’enfants ou bien les personnes âgées mais il n’existe pas d’indicateur standardisé pour une mesure en population générale.
Une manière d’approcher cette hésitation a été d’interroger la population non pas sur la défiance, mais au contraire sur son adhésion au principe de la vaccination. Cette adhésion est suivie depuis plus de 20 ans par le Baromètre de Santé publique France à travers la question : « Êtes-vous favorable à la vaccination en général ».
Ce dispositif d’enquêtes répétées s’appuie sur des échantillons importants (généralement entre 15 000 et 25 000 personnes interrogées) qui sont constitués de manière rigoureuse (méthode probabiliste). Le Baromètre de Santé publique France permet de suivre dans le temps l’évolution des habitudes et des opinions en lien avec la santé de la population résidant en France métropolitaine et depuis une dizaine d’années dans les DROM. Les résultats de ces enquêtes permettent d’évaluer nos actions de prévention mais aussi d’adapter nos messages et campagnes d’information. Les données recueillies sont ainsi précieuses à toutes les personnes investies dans le champ de la santé publique et en l’occurrence dans celui de la promotion de la vaccination.
L’adhésion à la vaccination en général avait diminué de 89,9 % en 2005 à 61,2 % en 2010, soit après la crise liée à la pandémie grippale de 2009.
L’adhésion a ensuite augmenté (78,8 % en 2014) puis a fluctué sur les années suivantes et a augmenté de nouveau en 2020 (80,0 %) et 2021 (82,5 %). Les dernières données, non publiées dans cet article montre une poursuite de l’augmentation avec un pourcentage d’adhésion à 84,6 % en 2022. Il a ainsi été observé une augmentation de l’adhésion à la vaccination pendant la crise liée à la Covid-19.
Quelles que soient les années, l’adhésion était supérieure pour les personnes avec haut niveau de revenu, pour celles avec haut niveau d’éducation et pour celles qui ne vivent pas seules. En 2021, pour la première fois, l’adhésion était supérieure pour les personnes de 45 ans et plus (et notamment les personnes de 65 ans et plus avec 85,9 % d’adhésion) en comparaison aux personnes de 18-24 ans et pour celles à la retraite (en comparaison aux personnes avec un emploi) et donc en grande partie pour les personnes qui ont le plus bénéficié de la vaccination contre la Covid-19.
L'augmentation globale de l’adhésion ces dernières années ne doit pas masquer la tendance à l’accroissement des différences en termes d’adhésion en fonction des niveaux sociaux-économiques. L’adhésion en 2021 était faible chez les personnes avec les niveaux de revenu et d’éducation les plus bas, et bien inférieure aux niveaux observés pour ces personnes avant 2009.
L’article montre non seulement que l’adhésion vaccinale n’a plus atteint le niveau observé avant 2010 mais également qu’en 2021, l’écart entre les personnes ayant les plus bas revenus et les personnes les plus aisées est plus fort qu’avant 2010. Afin de maintenir l’augmentation du niveau d’adhésion vaccinale en réduisant les inégalités sociales de santé, la priorité consiste à développer des actions de promotion de la vaccination prenant en compte le gradient social.
Durant la semaine européenne de la vaccination 2023, de nombreuses actions ont été mises en place à destination des populations les moins aisées, telles que des rendez-vous de rattrapage vaccinal, de promotion de la vaccination contre l’hépatite B, de vérifications du statut vaccinal, de sensibilisation à la vaccination contre les infections à papillomavirus humains (HPV) et de promotion de la vaccination de manière générale.
Par ailleurs, de nombreux outils sur la vaccination sont développés par Santé publique France, avec des informations facilement compréhensibles et accessibles au grand public. Le site « vaccination-info-service » a, par exemple, été développé à la fois en version professionnelle et en version grand public, avec des informations synthétiques, claires et visuelles pour la population générale. Dans un souci de toucher le plus grand nombre, l’agence réalise aussi des outils à destination de populations plus spécifiques : des vidéos sur certaines maladies à prévention vaccinale (rougeole, hépatites, zona, coqueluche…) y ont été publiées en langue française des signes, et certaines brochures sont adaptées en format « facile à lire et à comprendre ».
La campagne de vaccination contre les HPV venant de démarrer en septembre 2023 au collège s’inscrit dans la même démarche. Son objectif est d’améliorer la faible couverture vaccinale contre les HPV, mais aussi d’augmenter l’adhésion vaccinale contre les HPV en diminuant les inégalités sociales d’accès aux systèmes de soins et de prévention.
Par ailleurs, une étude menée par la Cellule régionale PACA (Direction des Régions) de Santé publique France avec l’ORS PACA (voir Encadré – L’entretien motivationnel pour réduire l’hésitation vaccinale des mères) auprès des femmes enceintes a également montré l’impact d’une action éducative basée sur la réalisation d’entretiens motivationnels en maternité sur la confiance vaccinale.
Nos efforts se poursuivent donc pour identifier et évaluer des interventions prometteuses permettant d’augmenter l’adhésion vaccinale de la population, tout en visant à réduire les écarts qui se sont creusés entre les personnes en fonction des différences de niveau socio-économique.
[1] Vaux S, Gautier A, Nassany O, Bonmarin I. Vaccination acceptability in the French general population and related determinants, 2000-2021. Vaccine. 2023 Sep 4:S0264-410X(23)01018-6. doi: 10.1016/j.vaccine.2023.08.062. Epub ahead of print. PMID: 37673718.
L’entretien motivationnel pour réduire l’hésitation vaccinale des mères
L’entretien motivationnel (EM) est un style de conversation collaborative qui renforce la motivation et l'engagement d'une personne à changer de comportement. L’efficacité de l’EM adapté à la vaccination a été démontrée au Québec auprès des parents de nouveau-nés, en maternité. L’essai MOTIVAC-MATER (1) a été réalisé pour tester si, dans le contexte français, l’EM réalisé auprès des parents en maternité serait réalisable et pourrait réduire l’hésitation vaccinale (HV) des mères et accroître leur intention de vacciner leurs enfants à 2 et 12 mois.
Une étude contrôlée randomisée parallèle multicentrique comparant l’impact de l’EM à la remise d’une brochure sur la vaccination (témoin) a été menée dans deux maternités de la région Paca. Les participantes étaient des mères venant d’accoucher. Dans chaque groupe, des auto-questionnaires ont été complétés par les participants avant EM ou brochure (T0), après EM ou brochure avant la sortie de la maternité (T1) et environ 7 mois après la sortie (T2).
733 mères ont participé à l’étude, dont 656 (89%) ont répondu aux questionnaires T0 et T1 et 407 (56%) aux questionnaires T0, T1 et T2. A T1, l’EM était significativement associé à une réduction du score d’HV des mères de 33% et une augmentation de l’intention de vacciner son enfant à deux mois de 8%. Ces effets se maintenaient à 7 mois. Les taux de satisfaction des mères ayant bénéficié de l’entretien étaient supérieurs à 95 % sur tous les indicateurs, y compris sur le choix du moment de l'intervention.
L'impact à court et moyen terme de l'EM sur l’hésitation vaccinale des mères, l’intention de vacciner leur nouveau-né et la satisfaction à l'égard du programme montrent l’efficacité et la faisabilité de cette intervention auprès des parents à la maternité et plaident en faveur de l'extension de l’intervention à une plus grande échelle pour améliorer la confiance vaccinale.
Le projet est en cours d’intégration dans le répertoire des Interventions efficaces ou prometteuses en prévention et promotion de la santé de Santé publique France.
(1) - Verger P, Cogordan C, Fressard L, Gosselin V, Donato X, Biferi M, Verlomme V, Sonnier P, Meur H, Malfait P, Berthiaume P, Ramalli L, Gagneur A. A postpartum intervention for vaccination promotion by midwives using motivational interviews reduces mothers' vaccine hesitancy, south-eastern France, 2021 to 2022: a randomised controlled trial. Euro Surveill. 2023 Sep;28(38):2200819. doi: 10.2807/1560-7917.ES.2023.28.38.2200819. PMID: 37733238; PMCID: PMC10515496.
En savoir plus
- Le dossier Vaccination de Santé publique France
- Les dernières données sur la vaccination et la couverture vaccinale : Bulletin de santé publique vaccination. Avril 2023.
- InfoCovidFrance : les données de couverture vaccinale du 11/05/20 au 30/06/23
- Le Baromètre de Santé publique France
- Le dossier des infections à papillomavirus
- Le répertoire des interventions prometteuses et efficaces en prévention et promotion de la santé