La Région Europe de l’OMS présente le taux d’allaitement exclusif au sein à 6 mois le plus faible au monde, à savoir 25 % des nourrissons avec une importante variation selon les pays. Les recommandations actuelles de l’OMS sont de poursuivre l’allaitement exclusif jusqu’aux 6 mois du nourrisson.
Améliorer cette situation pose, entre autres, la question de l’initiation de l’allaitement et de son maintien y compris après la reprise du travail.
Dans cette perspective, une des questions qui se pose est : comment concilier travail et allaitement ? Quelles sont les caractéristiques de l’emploi ou des emplois favorables à la poursuite de l’allaitement après le retour au travail ? La réponse à ces questions posées à l’échelle des pays de la région Europe de l’OMS a fait l’objet d’une revue de la littérature réalisée par Santé publique France en partenariat avec l’Université de Bordeaux et l'Inserm. Ces travaux ont été réalisés dans le cadre d’un post-doctorat*.
L’article qui vient de paraître dans la revue International Breastfeeding Journal [1] décrit les résultats de cette revue de littérature sur les pratiques de l’allaitement des femmes de retour au travail en Europe. Y sont analysés les facteurs liés au travail qui peuvent entraver ce choix personnel et familial et qui peuvent aggraver les inégalités sociales en matière de santé maternelle et infantile.
Il s’agit là de la première étude ayant examiné les déterminants sociaux structurels de l’allaitement maternel dans les pays de la région Europe de l’OMS à la lumière des inégalités sociales dans les pratiques d’allaitement.
3 questions à :
Stéphanie Vandentorren, Direction Scientifique et International, Santé publique France, Corinne Delamaire, Direction de la Prévention et de la Promotion de la Santé, Santé publique France, Pauline Brugaillères, Bordeaux Population Health Research Center, Inserm, Université de Bordeaux.
Les variations de la pratique de l’allaitement en Europe s'expliquent en partie par les différentes politiques sociales, et en particulier la durée du congé maternité (par exemple, la Suède, la Finlande et le Portugal offrent un congé de maternité long et bien rémunéré), mais aussi le congés paternité et la flexibilité des congés entre les parents qui favorise l’allaitement en termes d’initiation et de durée.
Selon le modèle conceptuel proposé par le Lancet Breastfeeding Série, les déterminants de l’allaitement dépendent du contexte socioculturel, des pratiques de l’industrie des substituts du lait maternel, du système de santé, de la composition de la famille ou de la communauté, et du lieu de travail. Entrent également en jeu des facteurs individuels dont la relation mère-enfant. Les hôpitaux « Ami des bébés » (IHAB) ont également un rôle favorisant l’initiation de l’allaitement1.
Côté travail et employeurs, s’il existe des réglementations relatives à leurs obligations envers les mères allaitantes, poursuivre l’allaitement au moment du retour au travail peut néanmoins s’avérer particulièrement difficile.
En Europe, l’allaitement reste une pratique socialement différenciée. On constate, en effet, que les femmes les plus diplômées, les plus aisées financièrement, et les femmes cadres supérieurs allaitent davantage que les femmes moins diplômées, moins aisées et les femmes employées ou ouvrières. Pour pouvoir réduire cette inégalité, il est nécessaire de mieux comprendre les déterminants sociaux associés à la poursuite de l’allaitement maternel, et en particulier les déterminants structurels comme l’emploi. En effet, les femmes qui allaitent davantage sont celles qui ont choisi un temps partiel ou une interruption temporaire, choix générant une baisse de revenus et affectant la carrière professionnelle des femmes.
Mieux soutenir les mères qui travaillent et qui choisissent d’allaiter est non seulement un enjeu de santé publique, mais aussi un élément crucial de lutte contre les inégalités de genre et plus largement les inégalités sociales de santé dès le début de la vie. En effet, agir précocement dans les deux premières années de la vie après la naissance sont déterminantes pour le développement de l’enfant et la santé de l’adulte qu’il deviendra. Ce concept des « 1000 premiers jours » lancé par l’Unicef, permet d’envisager une approche globale de la santé de la mère et de l’enfant pour promouvoir des environnements favorables au développement harmonieux du fœtus et du nouveau-né.
Cette revue de littérature avait donc pour objectif d’identifier les caractéristiques de l’emploi maternel favorisant la poursuite de l’allaitement au moment du retour au travail.
1 « L’Initiative Hôpital Ami des bébés » (IHAB) (Baby Friendly Hospital Initiative - BFHI) a été lancée en 1991 par l’OMS et l’Unicef. Cette initiative vise, notamment, à pour promouvoir l’allaitement maternel. Les résultats de l’étude de Santé publique France auprès des hôpitaux IHAB en France feront l’objet de la prochaine Rubrique L’article du mois : 3 questions à … ».
Ce travail révèle qu’être travailleur indépendant, travailler dans une profession non manuelle avec une flexibilité horaire, disposer de salles d’allaitement au travail, être soutenue par ses collègues et bénéficier d’une politique de soutien à l’allaitement sur le lieu de travail sont les facteurs les plus importants qui favorisent la poursuite de l’allaitement chez les mères. Ces conditions favoriseraient l’autonomie, la capabilité et la motivation des mères, qui jouent un rôle crucial dans les pratiques d’allaitement. Ainsi, les freins et leviers à l’allaitement au moment de la reprise du travail se rapportent à 3 dimensions de l’emploi qui sont corrélées : 1. le type d’emploi (ex : statut d’emploi, intitulé du poste), 2. les conditions de travail (ex : flexibilité) et 3. l’environnement de travail (ex : soutien social, équipements). Ces dimensions sont néanmoins rarement investiguées de façon conjointe dans les études et les actions de santé publique.
Agir en priorité auprès des mères socio-économiquement défavorisées, qui ont un emploi et qui choisissent d’allaiter est d’autant plus important étant donné la multitude de facteurs défavorables auxquels ces dyades mère-enfant sont exposées.
Des directives politiques ou interventions sur le lieu de travail sont ainsi nécessaires pour favoriser l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée : par exemple, cibler les emplois peu qualifiés ou précaires en augmentant la flexibilité et en réorganisant les postes de travail manuels pour qu’ils soient moins stressants pourrait être une perspective pertinente pour réduire les inégalités sociales en matière de santé, et en particulier en relation avec les pratiques d’allaitement.
Plus largement, promouvoir l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée à ce moment crucial de l’arrivée de l’enfant doit aborder la question des inégalités de genre dans le travail domestique. Ainsi, ce travail plaide également pour des actions à un niveau plus macroscopique en Europe, avec la mise en œuvre de réglementations sur le congé parental bien rémunéré, flexible et équitable entre les deux parents.
La stratégie de Santé publique France en matière d’allaitement est la promotion d’un environnement favorable à l’allaitement de manière générale dont le milieu de travail.
[1] Brugaillères P., Deguen S., Lioret S., Haidar S., Delamaire C., Counil E., Vandentorren S. Maternal employment characteristics as a structural social determinant of breastfeeding after return to work in the European Region: a scoping review. Int Breastfeed J 19, 38 (2024). https://doi.org/10.1186/s13006-024-00643-y
*Ce travail a été réalisé dans le cadre du post-doctorat de Pauline Brugaillères (Inserm, Université de Bordeaux), encadrée par Stéphanie Vandentorren (Santé publique France) sur l’intégration des indicateurs d’inégalités sociales et territoriales de santé, dès la petite enfance.
En savoir plus :
- Le Guide de l’Allaitement maternel | Santé publique France
- Le dossier sur l’enquête Epifane | Santé publique France
- La surveillance nutritionnelle chez les enfants | Santé publique France
- Le site Manger Bouger | Santé publique France
- Le programme national nutrition santé | Ministère de la Santé
- Le programme 1000 premiers jours | Santé publique France
- Les 1000 premiers jours | Santé publique France