Les maladies cardiovasculaires représentent un lourd fardeau dans le monde. En France, ces maladies sont responsables de plus d’un million d’hospitalisations annuelle et sont la deuxième cause de mortalité derrière les cancers. Une précédente étude de Santé publique France (1) anticipe une augmentation de la prévalence de l’infarctus du myocarde en France entre 2015 et 2035, avec un doublement des cas chez les hommes et les femmes. Cette augmentation est en partie liée au vieillissement inéluctable de la population.
Le tabagisme est l’un des principaux facteurs de risque cardiovasculaire. En France, on estime que 21% des hospitalisations cardiovasculaires lui sont attribuables.
En France, la proportion de fumeurs quotidiens reste élevée, atteignant 24,5 % en 2022 (2).
Le premier Programme national de lutte contre le tabagisme (PNLT) pour la période 2014-2019, a conduit à l’augmentation progressive du prix du tabac, la mise en place du paquet de cigarettes neutre ou standardisé, le remboursement des substituts nicotiniques ainsi que le dispositif annuel de marketing social « Mois sans tabac » porté par l’Agence. L’évaluation globale de ce dispositif de réduction du tabagisme a fait l’objet d’une évaluation récente de l’OCDE, réalisée en partenariat avec Santé publique France (voir Encadré – Evaluation de la politique de lutte contre le tabagisme).
Le troisième PNLT, publié en novembre 2023, affiche un objectif chiffré de réduction du tabagisme de moins de 20% de fumeurs quotidiens pour 2027.
Alors que la 9ème session de « Mois sans tabac » débute (voir Encadré – Mois sans Tabac : évaluation sanitaire et économique), une étude de Santé publique France réalisée en partenariat avec l’ISPED (Université de Bordeaux), vient de paraître dans la revue Clinical Epidemiology soulignant la pertinence d’objectifs chiffrés ambitieux en matière de réduction du tabagisme pour réduire le fardeau de l’Infarctus du myocarde.
3 questions à Johann Kuhn et Valérie Olié*, Santé publique France
*Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une thèse co-encadrée par Yann Le Strat, Pierre Joly, Christophe Bonaldi (DATA, Santé publique France) et Valérie Olié (DMNTT, Santé publique France).
L’infarctus du myocarde présente un lourd fardeau pour la santé publique en France : il est l’une des principales maladies cardiovasculaires lesquelles représentent la deuxième cause de mortalité en France. L’infarctus du myocarde est responsable de plus de 70 000 hospitalisations par an en France.
Le tabac constitue l’un des principaux facteurs de risque de cette maladie avec la particularité d’avoir un impact cardiovasculaire immédiat chez les fumeurs, contrairement aux cancers qui peuvent se développer après plusieurs années d’exposition. De plus, la réduction du risque cardiovasculaire est effective dès l’arrêt du tabagisme. Deux constats qui font de l’infarctus du myocarde un bon modèle pour étudier l’impact de scénarios de réduction du tabagisme en France.
Dans ce travail nous avons modélisé quatre scénarios de réduction du tabagisme concernant la proportion de fumeurs de 18-75 ans dans la population française entre 2024 et jusqu’en 2035. Le premier scénario, dit standard, reconstitue la tendance actuelle de réduction du tabagisme en France à savoir une réduction de la proportion de fumeurs de 1% par an. Le deuxième scénario simule un doublement de la réduction de fumeurs par rapport au précédent scénario soit 2 % par an. Le troisième scénario applique l’un des objectifs préliminaires du PNLT (Plan national de lutte contre le tabac) ciblant une proportion de fumeurs à 22 % en 2027, soit une réduction de 10 % par an. Enfin, le quatrième scénario simule un arrêt total de la consommation du tabac dès 2024, soit une proportion de fumeurs à 0% dès cette année-là. Les données alimentant ces différents scénarios sont issues du Système national des données de santé, du Baromètre de santé publique France 2021 et de l’Insee.
La mise en œuvre du scénario 3 permettrait de prévenir en 2035, 45 000 cas d’infarctus du myocarde dont plus 60% chez les moins de 65 ans, 4 500 décès par infarctus du myocarde et 265 000 décès toutes causes. Le deuxième scénario, moins ambitieux sur le plan de réduction de la prévalence du tabagisme permettrait un gain significatif par rapport au maintien de la dynamique actuelle, mais moindre que le scénario 3 : 6800 cas d’infarctus du myocarde en moins, 640 décès d’infarctus et -40 000 décès toutes causes évités.
Enfin, un scénario théorique d’arrêt complet du tabagisme en France en 2024, permettant d’estimer le gain maximal, permettrait de prévenir 103 000 cas d’infarctus du myocarde, 12 800 décès d’infarctus du myocarde et 653 000 décès toutes causes en 2035. Au-delà de l’impact sur le nombre de cas et de décès, une réduction de la prévalence du tabagisme dans la population entraînerait un recul de l’âge moyen de survenue de la maladie de 2,8 ans à 4,1 ans chez les hommes et de 1,1 ans à 2,0 ans chez les femmes. Ces résultats confirment la pertinence d’objectifs chiffrés ambitieux en matière de réduction du tabagisme.
Notre travail a mis en évidence que, en dehors de tout scénario de prévention, la prévalence de l’infarctus du myocarde va fortement augmenter d’ici 2035. L’augmentation projetée de la prévalence de l’infarctus du myocarde en France à l’horizon 2035 est liée à plusieurs facteurs : démographique avec le vieillissement inéluctable de la population, épidémiologique avec une prévalence des facteurs de risque cardiovasculaires qui reste élevée en France.
On estime que près de la moitié de l’augmentation de la prévalence de l’infarctus du myocarde d’ici 2035 serait liée au seul vieillissement de la population. En effet, les données de l’Insee montrent qu’en 2050 en France, les 60 ans et plus représenteront 1/3 de la population contre 1/5 en 2005.
La prévention revêt, dans ce contexte et plus largement pour les maladies chroniques, une importance majeure. Les facteurs de risque ayant la part attribuable d’événements cardiovasculaires la plus élevée sont le tabac, le cholestérol, le diabète et l’hypertension artérielle. Ces 4 facteurs de risque sont modifiables via des changements de comportement. Si le tabac fait aujourd’hui l’objet de campagne de prévention active et régulière dont l’efficacité est démontrée, les 3 autres facteurs de risque restent à un niveau très élevé en population (30 % d’adultes hypertendus, 7,4 % d’adultes diabétiques et 23,3 % d’adultes avec une hypercholestérolémie LDL), avec une part importante de personnes non dépistées (45 % pour l’hypertension artérielle, 23 % pour le diabète et 43 % pour le cholestérol LDL élevé) (3-5). L’amélioration du dépistage de l’hypertension artérielle, du diabète et de l’hypercholestérolémie et les campagnes de prévention nutritionnelle restent plus que jamais prioritaires pour infléchir ces tendances.
Le modèle multi-états utilisé pour l’infarctus du myocarde peut être appliqué à d’autres maladies cardiovasculaires ou chroniques à condition de formuler les hypothèses adaptées à chaque maladie ciblée.
L’application à l’ensemble des maladies attribuables au tabac permettrait de quantifier le gain global que l’on pourrait attendre de la prévention du tabagisme.
Il est également possible d’envisager l’utilisation de ces modèles pour d’autres facteurs de risque ou en combinant plusieurs facteurs de risque. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que ces modèles sont complexes et nécessitent la formulation de nombreuses hypothèses. Ils sont de plus très coûteux en temps de calcul.
Au-delà des simulations de scénario de prévention, ces modèles présentent l’avantage de montrer l’impact majeur du vieillissement sur la prévalence des maladies cardiovasculaires en considérant les projections de structure d’âge de la population fournies par l’Insee dans la modélisation. Compte tenu de la part importante du facteur démographique dans l’évolution de la prévalence projetée, nos résultats mettent en évidence la nécessaire adaptation du système de soins pour permettre d’anticiper la prise en charge d’un surcroît de malades. Ces adaptations concernent non seulement la phase aiguë, hospitalière, mais également la prise en charge de la phase chronique à savoir la réadaptation cardiaque suivie, à domicile, du déploiement des mesures de prévention secondaire et tertiaire et d’éducation thérapeutique.
Au-delà des maladies cardiovasculaires, le vieillissement de la population a un impact sur l’ensemble des maladies chroniques liées à l’âge. Les leçons tirées de nos résultats sur la nécessité d’une prévention plus active et l’adaptation du système de soins s’appliquent à l’ensemble des maladies chroniques.
Kuhn J, Olié V, Grave C, Le Strat Y, Bonaldi C, Joly P. Impact of Smoking Reduction Scenarios on the Burden of Myocardial Infarction in the French Population Until 2035. Clin Epidemiol. 2024 Sep 7;16:605-616. doi: 10.2147/CLEP.S440815.
Egalement cités dans cet article :
(1) Kuhn J, Olié V, Grave C, Le Strat Y, Bonaldi C, Joly P. Estimating the future burden of myocardial infarction in France until 2035: an illness-death model-based approach. CLEP. 2022;14:255–264. doi:10.2147/CLEP.S340031.
(2) Pasquereau A, Andler R, Guignard R, Soullier N, Beck F, Nguyen-Thanh V. Prévalence du tabagisme et du vapotage en France métropolitaine en 2022 parmi les 18-75 ans. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(9-10):152-8. http://beh.santepublique france.fr/beh/2023/9-10/2023_9-10_1.html
(3) Perrine AL, Lecoffre C, Blacher J, Olié V. L'hypertension artérielle en France: prévalence, traitement et contrôle en 2015 et évolutions depuis 2006. Bull Épidémiol Hebd 2017;10:170-9.
(4) Lailler G, Piffaretti C, Fuentes S, Nabe HD, Oleko A, Cosson E, et al. Prevalence of prediabetes and undiagnosed type 2 diabetes in France: Results from the national survey ESTEBAN, 2014-2016. Diabetes Res Clin Pract 2020;165:108252.
(5) Blacher J, Gabet A, Vallee A, Ferrieres J, Bruckert E, Farnier M, et al. Prevalence and management of hypercholesterolemia in France, the Esteban observational study. Medicine (Baltimore) 2020;99:e23445.
Évaluation de la politique de lutte contre le tabagisme
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et Santé publique France ont collaboré pour une évaluation sanitaire et économique de la politique de lutte contre le tabagisme mise en œuvre en France entre 2016 et 2020. Cette analyse vient d’être publiée dans la revue Tobacco Control.
L’analyse a été menée à l’horizon 2050 en utilisant le modèle de microsimulation de l’OCDE pour la planification stratégique de la santé publique pour les maladies non transmissibles (OECD SPHeP-NCDs). Les paramètres de ce modèle combinent des données sur les facteurs de risque comportementaux tels que le tabagisme, ainsi que des données démographiques et de santé de la population, provenant de bases de données nationales (dont le Baromètre de Santé publique France) et internationales. Dans le modèle, chaque individu est confronté à divers risques de maladie (liée ou non au tabagisme) en fonction de son profil. Les coûts de traitement des maladies sont estimés sur la base d’un coût annuel par cas. De plus, les retombées de ces maladies sur le marché du travail sont évaluées.
D’important gains sanitaires et économique
Sur la période 2023-2050, les mesures mises en place entre 2016 et 2020 (comprenant une augmentation progressive du prix du tabac, la mise en place du paquet de cigarettes neutre ou standardisé, la campagne annuelle « Mois sans tabac » et l’inscription du remboursement des substituts nicotiniques dans le droit commun) permettraient :
- d’éviter environ 4 millions de cas de maladies chroniques (1,87 millions de cas de troubles musculo-squelettiques, 1,54 millions de cas d’infections respiratoires basses, 275 000 cas de BPCO, 170 000 cas de cancers, 104 000 cas de maladies cardiovasculaires, 40 000 cas de démence et 32 000 cas de diabètes ;
- d’économiser 578 millions d’euros par an de dépenses de santé ;
- d’augmenter l’emploi et la productivité de l’équivalent de 19 800 ETP supplémentaires par an.
Le coût des mesures évaluées – estimé à environ 148 millions d’euros par an – sera compensé par les économies sur les dépenses de santé à long terme, avec un rendement moyen de 4 euros pour chaque euro investi.
Mois sans Tabac : 9ème édition
Alors que la 9ème édition de « Mois sans tabac », le défi collectif qui invite les fumeurs à arrêter de fumer pendant 30 jours consécutifs, est en cours depuis le 1er novembre, le BEH publie aujourd’hui l’évaluation sanitaire et économique de ce dispositif de marketing social réalisée par Santé publique France et l’OCDE ; évaluation qui montre un retour sur investissement largement favorable, de l’ordre de 7 euros économisés en dépense de santé pour un euro investi. Les résultats détaillés de cette évaluation sont disponibles sur le site de santé publique France.
Rappelons que cet événement national, mis en place par le ministère de la Santé et de l’Accès aux soins et Santé publique France, en partenariat avec l’Assurance Maladie, est répété chaque année depuis sa création en 2016.
Son objectif : encourager les fumeurs à arrêter de fumer dans un élan collectif, en bénéficiant du soutien de leur entourage. Chaque année des ressources sont mises à leur disposition, notamment le site Tabac info service et un numéro dédié, le 39 89, qui offre un accès gratuit à des entretiens avec un tabaccologue. Près de 6 fumeurs sur 10 souhaitent arrêter de fumer : se préparer et être accompagné, c’est mettre toutes les chances de son côté pour relever le défi d’une vie sans tabac
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- Communiqué de presse : Mois sans tabac : 9ème édition