Les cancers d'origine professionnelle surviennent le plus souvent après des temps de latence très longs. C'est le cas des cancers liés à l'exposition à l'amiante, qui se déclarent pour la plupart plusieurs dizaines d'années après le début de l'exposition à cette nuisance alors que les personnes ne bénéficient plus d'aucune surveillance médicale en relation avec leurs expositions professionnelles. C'est pourquoi, en 1995, la réglementation a permis aux travailleurs ayant été exposés à une substance cancérogène au cours de leur vie professionnelle, de bénéficier d'une surveillance médicale prise en charge par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) (article D 461-25 du Code de la Sécurité Sociale). Le projet ESPACES propose et évalue une méthode de recherche active des retraités ayant pu être exposés professionnellement à l'amiante afin de les informer de leurs droits à un suivi médical post-professionnel et de les accompagner dans les démarches. Cette étude a été réalisée dans les Centres d'Examens de Santé (CES) de six CPAM-tests (Côtes d'Armor, Haut Rhin, Loiret, Nord, Paris, Vienne). Un échantillon de 6000 retraités des années 1994, 1995 et 1996 a été tiré au sort. Ces retraités ont reçu un questionnaire postal leur demandant de retracer leur histoire professionnelle et 60 % d'entre eux ont répondu. Ces historiques de carrière ont été croisés avec les données d'une matrice emplois exposition spécifique de l'amiante afin de déterminer pour chacun d'entre eux une probabilité d'avoir été exposé à cette nuisance dans sa vie professionnelle. Sur les 3367 carrières analysées, 68% avaient une probabilité d'avoir été exposées à l'amiante pour au moins un épisode professionnel, quelle qu'en soit sa durée. Lorsqu'on tient compte de la probabilité d'exposition de chacun des sujets de l'étude, la proportion de personnes exposées est de 27,6 %. Ce chiffre est tout à fait comparable aux estimations effectuées par d'autres équipes, à partir d'autres populations. Le dépistage effectué à l'aide de la matrice engendre inévitablement des erreurs de classement, dues aux particularités de chaque personne ; c'est pourquoi une étape de validation individuelle des résultats est indispensable. Les médecins des CES ont donc invité les retraités présumés exposés à un entretien médical afin de vérifier les résultats de la matrice. A l'issue de ces entretiens, les 483 retraités dont l'exposition a été confirmée par les médecins ont été adressés à leur CPAM pour engager des démarches de prise en charge d'un suivi médical post-professionnel ; le dossier a été accepté pour 159 d'entre eux, 52 ont essuyé un refus et 105 dossiers sont encore en instance. Une évaluation du résultat obtenu par comparaison avec un échantillon de CPAM témoins, montre d'ores et déjà que la procédure testée multiplie par 17 le nombre de prises en charge. Actuellement, seules les grandes entreprises nationales et les secteurs de la transformation de l'amiante ont mis en place des systèmes formalisés d'information de leurs retraités, alors que c'est dans des secteurs économiques très divers, comme la métallurgie, le BTP, les services, la production d'engins, la mécanique automobile, qu'on trouve la plus grande proportion d'exposés. C'est pourquoi, une généralisation de la procédure réduirait les inégalités d'information des personnes ayant été exposées à l'amiante. Afin de minimiser le nombre de sujets dépistés à tort et de proposer une procédure réaliste dans la perspective d'une généralisation, la performance d'un indice prenant en compte la probabilité et la durée d'exposition a été analysée. Le dépistage pourrait se limiter aux sujets ayant connaissance de leur exposition à l'amiante et à ceux dont l'indice est supérieur ou égal à un seuil à définir. Plusieurs simulations ont été réalisées : elles permettent de définir un seuil tout à fait raisonnable, tant sur le plan de l'éthique (minimisation des faux positifs et des faux négatifs), que sur celui de la faisabilité pour les CES : la proportion de retraités invités chaque année à un entretien médical représenterait 3% de l'activité clinique des 70 CES (13 000 entretiens) pour un bénéfice de 7000 prises en charge. Le champ de la santé au travail est couvert par des acteurs légitimes que sont notamment les médecins du travail et l'Inspection médicale du travail. Pour qu'un programme de cette envergure puisse voir le jour, il est indispensable que ces différents partenaires coopèrent et soient associés à l'ensemble de la procédure de dépistage des retraités exposés. Enfin, ce programme nécessite la mise en place des moyens indispensables à sa réussite. Si elle s'avère positive, cette expérience pourrait être étendue à la surveillance post-professionnelle des retraités et à d'autres catégories d'inactifs ayant été exposés dans leur vie professionnelle à d'autres nuisances cancérogènes que l'amiante,ce qui permettrait une prise en charge du suivi médical post-professionnel plus équitable. (R.A.)
Auteur : Imbernon E
Année de publication
: 2001
Pages : 152 p.