L'évaluation rétrospective des expositions aux pesticides des travailleurs agricoles est une démarche nécessaire pour comprendre et établir des liens entre leurs activités professionnelles tout au long de leur carrière et la survenue de potentielles pathologies telles que les cancers ou les maladies neurodégénératives. Les données fiables, produites par une méthode précise et structurée pour dresser l'historique des expositions professionnelles, sont peu nombreuses. La viticulture fait partie des cultures françaises les plus consommatrices de pesticides (indice de fréquence du traitement 2016 : 15,3), exposant ainsi les travailleurs agricoles à de nombreux produits phytopharmaceutiques (PPP). Aucune étude jusqu'alors n'a permis d'identifier le nombre de ces travailleurs, les PPP auxquels ils sont et/ou ont été exposés au cours du temps et d'y associer d'éventuels effets sur la santé susceptibles de se produire face à cette exposition. Nous avons utilisé trois bases de données dont deux construites et co-construites par Santé publique France pour répondre à la question : quels sont les PPP qui ont été appliqués en viticulture au cours des dernières décennies en France hexagonale, quels sont leurs effets sanitaires et quelles sont les caractéristiques de la population de travailleurs agricoles concernés ? La première base est une matrice culture-exposition (MCE) spécifique à la culture de la vigne grâce à laquelle nous avons identifié l'ensemble des PPP utilisés sur cette culture depuis les années 1980 ainsi que la fréquence et la probabilité de leur usage. La seconde source de données est la base CipaTox ; réalisée en partenariat avec l'Université Lyon 1. Elle a été établie pour recenser les effets sanitaires de l'ensemble des substances actives (SA) des PPP homologués en France depuis 1961, avec un focus sur le potentiel cancérogène, mutagène et reprotoxique. Enfin, la troisième source est constituée par les recensements agricoles (RA) de 1979, 1988, 2000 et 2010 qui ont permis d'identifier les caractéristiques socio-démographiques des travailleurs de la vigne. En croisant ces trois sources de données nous avons calculé des prévalences d'exposition professionnelle sur les quatre années du recensement agricole aux PPP utilisés en viticulture et associé les effets sanitaires qu'ils peuvent engendrer. Nos travaux montrent qu'en 1979, 1988, 2000 et 2010, 132 substances actives différentes ont été utilisées sur vigne dont 65 fongicides, 44 insecticides et 23 herbicides. Les principales molécules sont à l'exclusion des produits minéraux (cuivre et soufre), le folpel, le mancozèbe, le glyphosate et le fénoxycarbe. Entre 83 % (1979) et 72 % (2010) des travailleurs de la vigne, dont le nombre est passé de 482 050 (1979) à 162 608 (2010) individus appartenant à la main-d'œuvre permanente des exploitations, ont été exposés à au moins une substance toxique pour la santé humaine considérée comme ayant des effets potentiellement cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques au sens de notre étude. Ces travaux permettent de guider la prévention vis-à-vis des professionnels de l'agriculture en identifiant les pesticides pouvant avoir des effets néfastes sur leur santé. Ils incitent à mettre en œuvre plusieurs actions dont : la sensibilisation des travailleurs agricoles au risque chimique induit par l'usage des pesticides, la promotion de méthodes alternatives en viticulture, la limitation de l'usage des PPP, la circonscription de l'utilisation des PPP dont la substance active peut être considérée comme toxique, le port d'équipements de protection individuelle en conformité avec les conditions climatiques lors des traitements, l'information et la formation des médecins généralistes et des médecins du travail pour faciliter la reconnaissance en maladies professionnelles et enfin l'évolution du matériel agricole qui reste la marge majoritaire de progrès pour réduire l'exposition aux pesticides des travailleurs agricoles.
Auteur : Chaperon Laura, Spinosi Johan, Perrin Laëtitia, Jezewski-Serra Delphine, Robert Antoine, Fillol Clémence
Année de publication
: 2023
Pages : 48 p.
Collection : Études et enquêtes