L'évaluation rétrospective des expositions aux pesticides des travailleurs agricoles est une démarche nécessaire pour comprendre et établir des liens entre leurs activités professionnelles tout le long de leur carrière et la survenue de potentielles pathologies telles les cancers ou les maladies neurodégénératives. Les données fiables, produites par une méthode précise et structurée pour dresser l'historique des expositions professionnelles, sont peu nombreux. La canne à sucre, la culture agricole la plus répandue à La Réunion, emploie de nombreux produits phytopharmaceutiques (PPP) auxquels sont exposés les travailleurs agricoles. Aucune étude jusqu'alors n'a permis d'identifier le nombre de ces travailleurs, les PPP auxquels ils sont et/ou ont été exposés au cours du temps ni les éventuels effets sur la santé susceptibles de se produire face à cette exposition. Nous avons utilisé trois bases de données dont deux construites par Santé publique France pour répondre à la question : quels sont les PPP qui ont été appliqués sur la canne à sucre au cours des dernières décennies à l'île de La Réunion, quels sont leurs effets sanitaires et quelles sont les caractéristiques de la population de travailleurs agricoles concernés ? La première base est une matrice culture-exposition (MCE) spécifique à la culture de la canne à sucre à La Réunion grâce à laquelle nous avons identifié l'ensemble des PPP utilisés sur cette culture depuis les années 1960 ainsi que la fréquence et la probabilité de leur usage. La seconde source de données est la base CipaTox ; elle a été établie pour recenser les effets sanitaires de l'ensemble des substances actives (SA) des PPP homologués en France depuis 1961, et un focus a été fait sur la cancérogénicité, la mutagénicité et la reprotoxicité (CMR) ainsi que la perturbation endocrinienne (PE). Enfin, la troisième source est constituée par les recensements agricoles (RA) de 1981, 1989, 2000 et 2010 qui ont permis d'identifier les caractéristiques sociodémographiques des travailleurs de la canne à sucre à La Réunion. En croisant ces trois sources de données nous avons calculé des prévalences d'exposition professionnelle sur les quatre années du RA aux PPP utilisés sur la canne à sucre à La Réunion et identifié les effets sanitaires qu'ils peuvent engendrer. Nos travaux montrent qu'en 1981, 1989, 2000 et 2010, 25 substances actives différentes ont été utilisées sur la canne à sucre dont 19 herbicides, 3 insecticides, 2 rodonticides et 1 fongicide. Les principales molécules sont le 2,4-D, l'amétryne, l'atrazine, Beauvaria tenella 96, le chlorpyriphos-éthyl, le diuron et le glyphosate. Entre 44 % (1981) et 88 % (2010) des travailleurs de la canne à sucre à La Réunion, dont le nombre est passé de 16 777 (1981) à 7 194 (2010) individus, ont été exposés à au moins une substance toxique pour la santé humaine et considérée comme CMR ou PE. Ces travaux permettent de guider la prévention vis-à-vis des professionnels de l'agriculture en identifiant les pesticides pouvant avoir des effets néfastes sur leur santé. Ils incitent à mettre en oeuvre plusieurs actions dont la sensibilisation des travailleurs agricoles au risque chimique induit par l'usage des pesticides, la promotion de méthodes alternatives de production de la canne à sucre, la limitation de l'usage des PPP, la circonscription de l'utilisation des PPP dont la substance active est CMR ou PE, le port d'équipements de protection individuelle en conformité avec les conditions climatiques de la région, enfin, l'information et la formation des médecins généralistes et la médecine du travail pour faciliter la reconnaissance en maladies professionnelles.
Auteur : Spinosi Johan, Cahour Lisa, Gouy Matthieu, Chaperon Laura, El Yamani Mounia
Année de publication
: 2019
Pages : 37 p.