Faire de la protection de la biodiversité un enjeu de santé publique, au même titre qu’un enjeu environnemental, est un impératif, tant « une nature en bonne santé » est indispensable à la (sur)vie des êtres humains. Pour autant, force est de constater que les sociétés contemporaines, par leurs modes d’existence et de production, malmènent la nature, et s’en éloignent… regardant souvent le monde vivant comme une source d’agressions potentielles dont il faudrait se défendre, tel l’invasif moustique tigre.
L’ambition de ce numéro de La Santé en action est d’éclairer les liens multiples et complexes entre biodiversité et santé à la lumière des publications scientifiques de ces dernières années, qui font écho au concept d’« Une seule santé » (ou One Health) né dans les années 2000 : il défend l’idée que la santé des humains, des animaux, des plantes et des écosystèmes est étroitement liée et interdépendante. C’est peu ou prou la même approche pour la « Santé planétaire », dont les travaux interdisciplinaires étudient les déterminants environnementaux et sociaux de la santé.
Des effets positifs sur la dépression et l’anxiété
Les connaissances actuelles sur les relations entre nature, santé physique et santé mentale des individus sont déterminantes. Décrypter le fonctionnement de la biodiversité permet de mieux comprendre les actions préjudiciables exercées par les humains sur les systèmes naturels, par exemple l’élevage intensif de bétail, qui concourent à l’émergence des zoonoses, ces maladies infectieuses passant de l’animal à l’homme.
Dans ce numéro, sont ainsi présentés :
- les mécanismes biologiques à l’œuvre, et la façon dont les arômes des plantes participent à l’immuno-stimulation de l’organisme humain ; c’est pourquoi les conditions de vie actuelles, coupées du monde vivant, nourrissent certaines pathologies chroniques ;
- « l’extinction de l’expérience de nature », y compris pour les habitants des territoires ruraux, dommageable pour la santé psychique, alors que les espaces verts ou bleus ont des effets positifs avérés sur la dépression et l’anxiété, sur le stress, sur la concentration et même sur la qualité des relations sociales. Les répercussions du déclin de la biodiversité ne s’arrêtent pas là, celui-ci alimentant une « éco-anxieté » qu’il devient pressant de documenter. Il ressort ainsi que le bien-être des populations dépend largement de la qualité de l’environnement.
La « gentrification verte », revers de la végétalisation des villes
Un chapitre du dossier est consacré à la renaturation des zones urbaines, un enjeu stratégique au vu du nombre de citadins. Plusieurs collectivités se sont déjà engagées dans cette voie, par exemple :
- à Albi, commune moyenne du Sud de la France, un « indice de bien-être » a été mis en place, qui varie en fonction de la distance que les habitants ont à parcourir pour rejoindre un parc ou une voie verte ; l’objectif est que, d’ici 2026, tous puissent le faire en moins de 10 mn à pied ;
- à Ris-Orangis, agglomération de la grande banlieue parisienne disposant de friches industrielles, le plan local d’urbanisme sanctuarise des espaces verts ; on y développe des jardins familiaux qui sont mis à disposition des particuliers afin qu’ils cultivent des légumes et fruits biologiques pour leur consommation personnelle, et qui deviennent des lieux de socialisation.
Toutefois, développer la nature en ville dans une démarche de promotion de la santé se heurte à certaines difficultés. Cela suppose un dialogue au sein des collectivités locales, entre les directions environnement et santé qui n’ont pas l’habitude de coopérer. Ces politiques publiques requièrent également une planification à moyen terme.
En outre, des chercheurs mettent en garde sur les écueils d’une telle démarche : un phénomène de « gentrification verte » pousse les ménages défavorisés hors des quartiers reverdis, aggravant les inégalités sociales et territoriales de santé. Il faut alors prendre des mesures pour que les aménagements urbains verts et bleus bénéficient de la même manière aux classes populaires.
Retrouver des liens avec le monde vivant
Ce numéro propose de nombreux exemples pour que la population s’adonne à davantage d’expériences de nature ; et cela commence dès le plus jeune âge. Dans une crèche de Seine-et-Marne, les activités des tout-petits dans le potager participent à l’éveil des sens et à la qualité du sommeil. Dans une école primaire du Doubs, des enseignants font cours en forêt une demi-journée par semaine, y compris l’hiver ; ces derniers observent que les élèves coopèrent davantage qu’en classe, deviennent plus autonomes et créatifs. Les adultes peuvent s’improviser « naturalistes », par exemple en participant aux observatoires scientifiques de Vigie-Nature (porté par le Muséum d’histoire naturelle) : « Plages vivantes », « Opération papillons », « Suivi temporel des libellules », etc. Certaines pratiques à l’étranger sont également inspirantes : au Québec, les professionnels de santé et du secteur social délivrent des « prescriptions nature », afin de favoriser le temps passé en immersion dans les espaces verts, qu’ils s’agissent des grands parcs canadiens ou du jardin communautaire du quartier.