Ce rapport présente les résultats de l'étude de la faisabilité de la mise en place d'un système de surveillance de l'incidence des cancers en lien avec l'activité professionnelle. Il n'existe actuellement pas de système de surveillance de ce type en France. Les estimations de l'incidence des cancers par métier ou secteur d'activité représentent des informations d'intérêt pour la description et la compréhension des relations entre facteurs de risque professionnels et apparition de cancer dans la population française. Elles permettraient d'identifier les métiers ou secteurs d'activité à forte incidence de cancer et les évolutions au cours du temps, afin d'orienter les politiques publiques destinées à améliorer et d'évaluer la prévention et la reconnaissance des cancers d'origine professionnelle. Le système envisagé de surveillance de l'incidence des cancers en lien avec l'activité professionnelle (Sicapro), dont l'objectif principal est d'identifier des groupes professionnels à risque accru de cancer, se base sur le couplage au niveau individuel, des données médicales issues des registres des cancers avec les données sur la carrière professionnelle provenant de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav). Dans un premier temps, afin de tester la faisabilité de la mise en place d'un tel système de surveillance, une étude pilote a été réalisée avec deux registres volontaires (Registre général des cancers de Lille et de sa région et Registre des tumeurs du Doubs et du Territoire de Belfort) qui ont fournis les données concernant l'ensemble des cas de cancers enregistrés pour les années 2010-2014. Les objectifs de cette étude pilote étaient d'étudier la performance de l'appariement à partir des données de l'état civil des personnes atteintes de cancer issues des registres et celles figurant dans les données de la Cnav ; d'identifier les données d'historiques professionnels disponibles dans les bases de la Cnav et d'étudier la qualité de ces données administratives dans un but de surveillance épidémiologique ; de mettre au point les différents indicateurs qui pourront être construits en routine pour le système de surveillance final et d'étudier les limites de la démarche, notamment dans l'identification des expositions professionnelles. Il existe en France depuis les années 1970, des registres de cancers généraux ou spécialisés qui permettent une surveillance épidémiologique locale et nationale des cancers en enregistrant de manière exhaustive l'ensemble des cas de cancers survenant parmi la population résidant dans le territoire couvert par chaque registre. Les registres de cancers généraux recueillent des informations sur tous les cancers alors que les registres de cancers spécialisés recueillent de nombreuses informations sur certains cancers (appareil digestif, hémopathies malignes, sein et autres cancers gynécologiques, système nerveux central, thyroïde, mésothéliome ou concernant des populations spécifiques (enfants et adolescents). Les deux registres des cancers volontaires pour la participation à cette étude pilote (Lille et sa région ; Doubs et Territoire de Belfort) sont des registres généraux, intégrant l'ensemble des localisations de cancers. Les données recueillies par la Cnav contiennent l'ensemble des données inhérentes à la carrière des assurés afin de calculer leur retraite. Sont inclus l'ensemble des personnes ayant au moins une période d'activité donnant lieu à cotisation au régime général quelle que soit la durée et concerne l'ensemble des individus ayant travaillé ou travaillant en France métropolitaine ou ultramarine, y compris la population étrangère. Les remontées d'informations provenant des autres régimes d'affiliation (Mutuelle sociale agricole, Régime social des indépendants, etc.) sont remontées afin de permettre le calcul des droits à la retraite, généralement à l'approche de celle-ci, en fin de carrière. L'appariement des données a été réalisé par la Caisse nationale d'assurance vieillesse sur les données d'état-civil (nom, prénom, date et commune de naissance) en l'absence du recueil du numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques (NIR) par les registres de cancers. La performance de cet appariement était satisfaisante puisque 96,9% des cas de cancers ont été retrouvés dans les bases de la Cnav. La reconstitution des historiques de carrières a été réalisée à partir des numéros employeurs, le secteur d'activité directement accessible via le code d'activité principale exercée n'étant renseigné de manière systématique que pour les années les plus récentes. Le numéro d'entreprise (Siret) recueilli dans la base permet de retrouver le secteur d'activité (NAF) de l'entreprise via la base Sirene® de l'Insee. La faisabilité de la reconstitution de l'historique professionnel dans la perspective de réaliser des mesures d'associations entre survenue du cancer et secteur d'activité s'est révélée également satisfaisante à partir de l'année 1999. À partir des cas incidents de 2019, nous disposerons donc d'un historique professionnel fiable sur les vingt dernières années de carrières, ce qui semble suffisant y compris pour des études portant sur des maladies avec des durées de latence longues comme les cancers. Le renseignement de la catégorie socio-professionnelle (CSP) par les employeurs est obligatoire à partir de l'année 2008 mais des problèmes de remontées d'information pour les années 2009 à 2011 n'ont pas permis de fournir des indicateurs dans le cadre de cette étude pilote. Néanmoins ces informations sont exploitables à partir de l'année 2012 et permettront de fournir des indicateurs d'incidence de cancer par CSP au moment du diagnostic pour le système de surveillance étendu Enfin, deux exemples d'utilisation possibles de ces données sont présentés ici. La première étude présente les ratios standardisés d'incidence de cancer du poumon selon le secteur d'activité occupé au moment du diagnostic chez les cas âgés de 20 à 64 ans et enregistrés entre 2010 et 2014 par le registre du cancer du Doubs et du territoire de Belfort. La seconde est une étude cas-témoins estimant le risque de la survenue d'un cancer du poumon pour l'ensemble de la carrière pour les deux registres en considérant comme exposés les individus ayant travaillé au moins un an versus les individus ayant travaillé moins d'un an pour chaque secteur d'activité. Ces résultats sont mis en perspective avec le calcul d'indices de disparité d'incidence attendue du fait de différences dans la prévalence de tabagisme par secteurs d'activité, le tabac restant le principal facteur de risque pour le cancer du poumon. La principale limite identifiée lors de cette étude est liée à la population couverte par la Caisse national d'assurance vieillesse. En effet la Cnav ne couvre que les salariés au régime général et les remontées des autres régimes ne sont donc complètes que pour les individus retraités. De plus les informations remontées par les autres régimes ne permettent pas de reconstituer les secteurs d'activité occupés au cours de la carrière ou les CSP pour les périodes où les individus étaient à leur compte ou salariés cotisants à un autre régime. Cette limite pourrait être levée par la mise en oeuvre par la Cnav du répertoire de gestion des carrières unique (RGCU) visant à mettre en commun les données relatives à la carrière de chaque assuré issues de l'ensemble des régimes en vue d'assurer la complétude et la cohérence de ces données. L'alimentation du RGCU en temps réel par les autres régimes, fixée au 31 décembre 2022, pourrait ainsi permettre d'étendre la population couverte par le système de surveillance à l'ensemble des actifs, quel que soit le régime d'affiliation. En dépit des limites mises en évidence lors de cette phase pilote, le système de surveillance Sicapro possède les propriétés d'un système de surveillance efficace : il ne nécessite pas de recueil de données complémentaires, une forte sensibilité car les registres recueillent de façon exhaustive les cas incidents de leur zone et il est représentatif de la population salariée au régime général. L'inclusion de l'ensemble des registres de cancers au système de surveillance, couvrant près de 20% de la population, permettra une plus grande puissance permettant une étude de l'incidence pour des localisations de cancers plus rares et/ou pour des secteurs d'activité à un niveau plus fin. Le système de surveillance permettra également de produire des indicateurs à un niveau départemental pour les départements intégralement couverts par un registre, y compris pour certains départements d'outre-mer (Guadeloupe, Martinique et Guyane).
Auteur : Lapostolle Annabelle
Année de publication
: 2021
Pages : 60 p.
Collection : Études et enquêtes