Faits marquants
- Des cas d’intoxication au plomb, professionnels et para-professionnels, sont survenus dans le cadre de la rénovation du réseau téléphonique sous-terrain. Ils ont fait l’objet d’une alerte nationale (cf. focus).
- Une journée d’échange autour du Retour d’expérience (Retex) du dispositif Gast a eu lieu en septembre 2017. Ce Retex est l’un des trois volets de l’évaluation interne du dispositif actuellement en cours de réalisation.
- L’été 2017 a été marqué par plusieurs épisodes de fortes chaleurs ayant eu un impact sanitaire important chez les travailleurs. En effet, entre le 1er juin et le 31 août, 10 décès sur le lieu de travail, en lien suspecté avec la chaleur, ont été déclarés à Santé publique France. La première canicule, intervenue du 17 au 25 juin, en début de période estivale, concentre à elle seule 7 décès.
- Juin 2017 : réunion du Comité de pilotage national du dispositif Gast. Il est chargé de valider les orientations stratégiques proposées par l’équipe projet et de faciliter la réalisation des missions et le développement du dispositif. Le Copil est composé de représentants de la Direction générale du travail, de la Direction régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi, des Centres de consultations de pathologies professionnelles, des Agences régionales de santé et de Santé publique France.
- Décembre 2017 : présentation du dispositif Gast aux membres de la Société de médecine et santé au travail de Lyon ; un focus sera fait sur les syndromes collectifs inexpliqués.
- Décembre 2017 : un cours sur la prise en charge des signalements d'évènements de santé inhabituels en milieu de travail sera donné dans le cadre du Master 2 Santé Publique et Risques Environnementaux (EHESP, Paris Descartes, Paris Sud et Université de Lorraine).
2008-2017 : dix ans se sont écoulés depuis la première conduite à tenir pour répondre à des évènements de santé inhabituels en milieu du travail, dix ans depuis la création, en Aquitaine, du premier Gast. La capitalisation de l’expérience, avec le déploiement des Gast (11 régions métropolitaines sur 13 couvertes en 2017) et la récurrence des signaux (40 sur 2008-2015 dont notamment 40 % de cas groupés, 25 % de SCI, 15 % d’expositions), justifient de réaliser un retour d’expérience (RetEx) sur cette période de mise en place et de développement du dispositif national de veille et d’alerte en santé travail.
Le Retex des 10 ans vise à formaliser les forces, les faiblesses et les vigilances afin d’établir un plan d’actions pour améliorer le dispositif. Il est piloté à Santé publique France par la Direction santé travail et la Direction des régions via la Cire Nouvelle Aquitaine.
Ce Retex associe les acteurs de Santé publique France et les partenaires membres des Gast de l’Inspection médicale du travail, des Centres de consultations de pathologie professionnelle (CCPP), des Centres antipoison et de toxicovigilance (CAPTV), des Caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) et des Agences régionale de santé (ARS).
En pratique, il s’est appuyé sur une approche qualitative qui a permis de recueillir l’expérience acquise par les membres permanents, via un questionnaire les interrogeant sur les points forts, les points faibles et les leviers d’amélioration du dispositif. Trois axes ont été définis, institutionnel, organisationnel et scientifique. Dans les 10 régions dotées d’un Gast en 2016, le questionnaire a été rempli à Santé publique France par 19 membres. Hors Santé publique France, il a été complété par 17 membres « permanents » dont 6 médecins inspecteurs régionaux du travail, 8 médecins de CCPP, de 2 agents de Carsat, 1 épidémiologiste de l’INRS, et par 2 membres « invités » dont 1 médecin de CAPTV et 1 représentant des ARS. Les questionnaires ont été remplis entre avril et juin 2017, puis analysés de juin à août. Une synthèse a ensuite été rédigée présentant les aspects positifs et négatifs, les points de vigilance et des propositions de recommandations pour améliorer le dispositif.
Une journée d’échange a eu lieu le 19 septembre 2017, l’occasion de présenter et discuter la synthèse, d’échanger sur les améliorations proposées. Des sessions de travail en groupes ont été, également, constituées en vue de proposer un plan d’actions à partir des recommandations retenues au cours de la journée.
In fine, le Retex des 10 ans du Gast fera l’objet d’un rapport, d’une diffusion et de communications aux membres des Gast, répondants et non répondants. Ses enseignements et recommandations viendront compléter les éléments acquis par les deux autres volets de l’évaluation interne du dispositif Gast. A l’issue de ce processus évaluatif, une stratégie de développement et d’amélioration de ce système de veille et d’alerte en santé travail sera arrêtée par Santé publique France, en concertation avec le Comité de pilotage national des Gast.
Pour rappel, le dispositif des Gast repose sur la création et l’animation, autour de chaque Cire, d’un groupe de spécialistes de la relation santé-travail et de l’épidémiologie d’intervention. Il fait intervenir les Direccte et les CCPP des CHU, d’autres acteurs peuvent aussi être mobilisés (Carsat, INRS, CAPTV).
Sandrine Auffinger
Ingénieur Carsat, membre permanent du Gast Centre-Val-de-Loire
Avez-vous constaté un avant et un après Gast dans votre région ?
Avant le Gast, notre région fonctionnait déjà de façon très partenariale. Les signalements en Santé-travail, pour des entreprises affiliées au Régime Général (car je ne peux parler que de ce qui entre dans mon champ de compétences), étaient déjà traités, en fonction de l’intérêt que cela présentait, avec les acteurs représentés au sein de notre Gast : Carsat, Direccte, services de Santé au Travail voire CCPP. Le Gast a, toutefois, permis de centraliser les alertes et de me faire découvrir un nouvel acteur, la Cire.
Que vous a apporté le fonctionnement en Gast personnellement ? Pour votre pratique ? Selon vous, quel est le principal intérêt et le principal inconvénient d’un Gast ?
Le fonctionnement en Gast a amené l’épidémiologie avec toute sa puissance méthodologique dans le traitement des alertes et l’analyse que nous pouvions en faire. Cela permet, par exemple, de conclure quant à la prévalence de cas de cancers dans une entreprise.
Le principal inconvénient reste, toutefois, un manque de réactivité du fait de la difficulté à trouver une date de réunion qui convienne à tous les participants et une insuffisance d’informations échangées au sein du Gast.
Avez-vous un signalement qui vous a particulièrement marqué et pourquoi ?
Nous n’avons eu que peu de signalements à traiter depuis la création du Gast en 2012. Cependant, le signalement en cours sur des cas de saturnisme liés au retrait de câbles de télécommunication gainés au plomb est celui qui, à mon sens, est le plus intéressant.
Ce signalement a fait l’objet d’une mobilisation d’un grand nombre d’acteurs et montre la nécessité de bien communiquer entre les différents organismes. Notamment, deux Gast ont été réunis (celui de ma région et celui d’Ile de France) pour échanger sur ce dossier car le salarié concerné habitait avec sa famille dans ma région mais travaillait en Ile-de-France.
Dès que j’ai pris connaissance du signalement, j’ai créé du lien en informant les membres des deux Gast de l’action menée par mes collègues du Service Prévention de la Cramif, qui portait sur le même sujet. A la suite de cette alerte, avec le CCPP du CHRU de Tours, nous avons diffusé une note d’information à l’intention des médecins du travail sur les risques présentés par ces opérations de retrait. En parallèle, en collaboration avec la Direccte, nous sommes en train de rencontrer les entreprises dont les employés sont potentiellement exposés à ce risque d’intoxication au plomb. Je tiens informée les deux Gast de l’avancement que nous avons sur le sujet afin que les informations collectées puissent être remontées auprès de la DGT et servir au niveau national. Quant au salarié, il a fait une demande de reconnaissance en maladie professionnelle. La Caisse Primaire d’Assurance Maladie a pris en charge l’instruction du dossier et m’informe régulièrement de son état d’avancement.
A ce jour, l’action de prévention a pris de l’ampleur puisque quatre Carsat/Cramif sont désormais mobilisées sur le sujet. Nous sommes en train de rencontrer les entreprises concernées pour vérifier la mise en place des mesures de prévention appropriées. En octobre 2017, cette action a d’ailleurs fait l’objet d’une présentation en séminaire des chimistes de nos caisses afin que tout le monde ait le même niveau d’information.
Décrivez-nous le traitement d’un signal dans la pratique
A la réception d’un signal, nous convenons d’une date pour une réunion téléphonique des membres du Gast. Collectivement, nous décidons des suites à donner au dossier. Soit, il est classé sans suite en justifiant cette décision, soit, il est utile de l’investiguer et, le cas échéant, nous définissons la stratégie à suivre et répartissons les rôles.
Selon vous, qu’apporte la présence d’un ingénieur de la Carsat dans le dispositif Gast ?
L’ingénieur de la Carsat permet d’apporter des informations sur les actions de prévention en cours au sein des entreprises potentiellement concernées par une alerte. Il peut également amener son expertise sur les substitutions possibles quand le problème sanitaire est lié à l’utilisation de produits chimiques, envisager les équipements de protection collective à mettre en œuvre, et dans certains cas, faire procéder à des prélèvements ou des mesurages via les centres de mesures physiques ou les laboratoires de chimie interrégionaux du réseau Assurance Maladie – Risques Professionnels et en dernier lieu réfléchir aux équipements individuels les plus appropriés. Sa présence permet ainsi d’alimenter les débats sur les liens de cause à effet grâce à ses connaissances des entreprises et des process.
Ainsi, les membres du Gast, après avoir pris connaissance de mesures de prévention demandées antérieurement à l’alerte, par la Carsat (ou d’autres partenaires du dispositif) à un établissement, peuvent décider d’attendre leur mise en œuvre et le contrôle de leur effectivité puis vérifier ensuite l’arrêt du phénomène. Si ce dernier se reproduit, le Gast devra imaginer de nouvelles pistes d’investigations permettant d’envisager une nouvelle stratégie d’intervention. Les ingénieurs-conseils référents maladies professionnelles des Carsat/Cramif/CGSS sont organisés en réseau. Cela me permet d’échanger sur des dossiers en cours ou d’avoir des retours d’expérience très riches d’enseignements si des cas similaires survenaient dans d’autres régions.
Un ingénieur de la Carsat devrait-il, selon vous, faire partie systématiquement des « membres permanents » de chaque Gast ?
A mon sens, oui, il est important qu’il en fasse parti pour les raisons énoncées précédemment! Pour ma part, je participe systématiquement aux réunions téléphoniques, même si le signalement à traiter est en dehors de mon champ de compétences circonscrit aux entreprises employant des salariés du régime général. Il me semble toutefois important que je puisse avoir une vision globale de l’ensemble des signaux traités pour maintenir une expertise.
Cas d’intoxication au plomb professionnelle et para-professionnelle dans le cadre de la rénovation du réseau téléphonique sous-terrain
Nadine Fréry/Annabelle Lapostolle
Epidémiologistes à la Direction santé travail, Santé publique France
Le signalement
Une alerte a été lancée par Santé publique France le 2 juin 2017 à la suite du signalement de cas de saturnisme professionnel chez des employés en sous-traitance d’une grande entreprise de téléphonie mobile, affectés à des chantiers de rénovation du réseau téléphonique sous-terrain, ainsi que des cas de saturnisme para-professionnel chez les enfants d’au moins un de ces employés. Leur activité consistait en la dépose de câbles de communication téléphonique situés dans des galeries et fourreaux souterrains, ces câbles usagés étant gainés de plomb. Cette source d’exposition professionnelle au plomb est connue mais elle était manifestement mal évaluée ou mal prise en considération par les employeurs.
Plombémies chez les travailleurs exposés et les membres de leur famille
Des niveaux élevés de plombémie (>350 µg/L) ont été détectés, chez les 3 employés et le responsable de l’entreprise par le médecin du travail et le CCPP. La plombémie de l’un d’eux atteignait 1115 µg/L. Suite à la prescription des plombémies pour les membres de famille de ce salarié, le Centre antipoison et de toxicovigilance a signalé 4 cas de saturnisme chez des enfants âgés de 4 à 12 ans, avec des plombémies comprises entre 50 et 97 µg/L ; dans cette même fratrie, un nourrisson de 6 mois avait une plombémie de 42 µg/L. Pour rappel, le seuil définissant en France un saturnisme infantile est de 50 µg de plomb/L depuis juin 2015.
Mesures prises
Lancement d’une alerte sanitaire
Bien que cette entreprise n’emploie que quelques salariés, la décision d’alerter les autorités sanitaires nationales et la Direction générale du travail sur cette situation a reposé sur plusieurs arguments :
- les niveaux élevés de plombémie mesurés chez les travailleurs exposés ;
- la maîtrise manifestement très insuffisante des expositions professionnelles dans cette entreprise sous-traitante ;
- la possible existence du même problème d’intoxication sévère au plomb chez les employés d’autres sous-traitants exécutant des travaux similaires sur le territoire national ;
- et enfin une exposition para-professionnelle qui touche les enfants de ces travailleurs intoxiqués.
Enquête environnementale dans la famille avec les cas de saturnisme infantile
Une enquête spécifique auprès de la famille du travailleur le plus gravement intoxiqué, faisant suite à la déclaration obligatoire des cas de saturnisme chez ses enfants, n’a pas retrouvé de source domestique ou environnementale d’exposition au plomb : habitation HLM refaite à neuve en janvier 2016, absence d’exposition à de la peinture écaillée, à des cosmétiques traditionnels ou à des ustensiles cuisine vernissés, etc. Les résultats négatifs de cette enquête ont donc orienté vers une exposition para-professionnelle des enfants, en lien avec le transfert au domicile, probablement massif, de poussières de plomb issues du lieu de travail de leur père.
Prise en charge thérapeutique de l’intoxication
L’employé dont la plombémie était la plus élevée, a été pris en charge à l’hôpital. Il a bénéficié d’un traitement chélateur1, qui a permis de ramener sa concentration sérique de plomb à moins de 400 µg/L.
Action de la Direction générale du travail
L’extension du réseau internet et de la fibre optique qui est actuellement réalisée au niveau national constitue un facteur de risque important à ce type d’exposition professionnelle au plomb. L’activité est souvent confiée, par les opérateurs de téléphonie, à des sous-traitants de niveau 1 voire souvent de niveau 2, pas toujours respectueux des mesures d’hygiène et de prévention, employant des travailleurs non qualifiés et parfois peu exigeants sur leurs conditions de travail. Le directeur général du travail a rencontré la direction de l’opérateur de téléphonie mobile pour l’informer de la situation et lui faire prendre les mesures de contrôle qui s’imposent auprès de ses sous-traitants, tandis que l’Inspection médicale du travail s’est chargée d’alerter tous les médecins inspecteurs régionaux du travail par courrier afin qu’ils soient un relai d’information vers les médecins du travail.
En parallèle, les études et mesurages réalisés sur des chantiers par le service Prévention de la Cramif ont permis de mobiliser d’autres Carsat sur le sujet, afin que le donneur d’ordre sensibilise ses entreprises sous-traitantes au risque sanitaire associé à l’activité de dépose de câbles usagers et leur impose la mise en œuvre de mesures de prévention adaptées.
1Les chélateurs sont des médicaments capables de se lier aux métaux lourds dans le sang et de permettre ainsi leur élimination par voie rénale ou biliaire.
- Extension du dispositif Gast à l’ensemble du territoire métropolitain : création du Gast en région Paca et Ile-de-France dans les mois à venir.
- Animation d’un atelier « alerte en santé travail » piloté par l’Anses et Santé publique France au Congrès national de médecine et santé au travail en juin 2018 à Marseille.
- Poursuite de l’évaluation interne du dispositif Gast : le volet Retex sera présenté et discuté par le Comité national de pilotage en 2018.