Cette étude, s’appuyant sur les données du Registre général des cancers de la Martinique, s’intéresse à 10 localisations parmi les plus fréquentes et d’intérêt territorial. Elle apporte des estimations de la survie à 1 an et 5 ans après le diagnostic par âge et par sexe avec la même méthode que celle utilisée pour les données de la France hexagonale. Ces premiers résultats montrent une grande disparité parmi ces localisations et des situations différentes par rapport à la survie estimée dans l’Hexagone.
Ces données constituent un point de repère pour la survie dans ce territoire et sont autant d’éléments essentiels pour accompagner les acteurs sanitaires des territoires dans l’adaptation des déclinaisons régionales de la Stratégie décennale de lutte contre les cancers.
Ce rapport, ainsi qu’une note méthodologique et des compléments, est disponible sur les sites internet de l’Institut national du cancer et de Santé publique France, sur le site de l’agence régionale de santé de Martinique et sur le site de la plateforme régionale d’oncologie de la Martinique.
Une grande disparité de survie1 entre les 10 localisations étudiées
Pour cette première édition des données de survie des personnes, âgées de 15 ans et plus, atteintes de cancers en Martinique, l’analyse a porté sur 10 localisations cancéreuses parmi les plus fréquentes et d’intérêt territorial. Elle concerne les personnes atteintes d’un cancer diagnostiqué entre 2008 et 2015 et suivies jusqu’au 30 juin 2018.
Les localisations de cancers étudiées sont : l’ensemble « lèvre-bouche-pharynx », l’œsophage, l’estomac, l’ensemble « côlon, rectum et anus », le poumon, la prostate, le sein, le corps et le col de l’utérus et les « myélomes multiples et plasmocytomes ». Pour certaines localisations, du fait des effectifs trop faibles, les estimations de survie sont parfois présentées hommes et femmes ensemble.
Ces premiers résultats montrent une survie qui varie fortement selon la localisation étudiée et peut, selon les cas, différer par rapport aux estimations nationales réalisées dans l’Hexagone. La comparaison avec la France hexagonale, au travers d’une valeur unique, ne reflète pas les disparités qui existent entre les départements. Certains d’entre eux, en fonction des localisations, peuvent avoir des taux de survie identiques, voire inférieurs à ceux des territoires ultra-marins.
Ainsi, les cancers de la prostate en Martinique ont un pronostic très favorable avec une survie nette standardisée (SNS) à 5 ans de 95 %, supérieure à celle de la moyenne des hommes diagnostiqués en France hexagonale (93 %).
Pour lescancers du col de l’utérus, de l’ensemble lèvre-bouche-pharynx, de l’estomac, du poumon, les survies nettes standardisées (SNS) à 5 ans sont respectivement de 59 %, 40 %, 31 % et 16 %. Elles sont équivalentes à celles de la moyenne estimée pour la France hexagonale2.
Pour les cancers du corps de l’utérus, de l’œsophage, du côlon-rectum, du sein, et pour l’ensemble « myélomes multiples et plasmocytomes », les SNS à 5 ans sont respectivement de 50 %, 3 %, 53 %, 83 % et 55 %, inférieures aux moyennes estimées pour l’Hexagone2 de respectivement - 24, - 14, - 10, - 5 et - 5 points de pourcentage.
Comme en France hexagonale, la survie diminue avec l’âge au diagnostic pour de nombreuses localisations telles que l’estomac, l’ensemble lèvre-bouche-pharynx, l’ensemble côlon-rectum, le col et le corps de l’utérus et pour les myélomes multiples. Ainsi, pour le cancer du col de l’utérus, la survie nette à 5 ans est de 62 % pour les personnes diagnostiquées à l’âge de 50 ans. Cette survie baisse à 52 % lorsqu’elle est diagnostiquée à 70 ans.
En revanche, pour l’œsophage, le poumon, la prostate et le sein, les survies nettes à 5 ans paraissent moins liées à l’âge au diagnostic. Ainsi, pour le cancer du sein, la survie nette demeure assez stable que le cancer ait été diagnostiqué à 40 ans (85 %) ou à 80 ans (82 %).
Déterminants de santé et prévalence des maladies chroniques : des éléments à prendre en compte dans la lutte contre les cancers en Martinique
Certaines caractéristiques, propres au territoire et à leurs résidents, peuvent en partie éclairer ces résultats et les différences observées avec l’Hexagone sans pour autant les expliquer totalement. Une participation moins importante aux dépistages organisés des cancers, un accès aux soins plus difficile, une prévalence plus élevée de certaines maladies chroniques, un statut socio-économique défavorisé, des questions identitaires, sociétales et culturelles, notamment le recours à l’automédication et à l’usage des plantes en amont, pendant et après le diagnostic, sont autant de facteurs pouvant potentiellement rendre plus difficile le diagnostic précoce et la prise en charge de certains cancers.
Une participation aux dépistages organisés à améliorer et des diagnostics à réaliser plus précocement
Lorsque l’on s’intéresse plus spécifiquement aux localisations dont les SNS sont inférieures à celles de la moyenne de la France hexagonale3, plusieurs hypothèses peuvent expliquer ces différences.
Pour le cancer du sein, dont la SNS à 5 ans est légèrement inférieure à la moyenne de l’Hexagone4 (- 5 points), les caractéristiques histologiques différentes de la maladie pourraient en partie expliquer cette différence.
Par ailleurs, en Martinique comme en France hexagonale, moins d’une femme sur deux participe au dépistage organisé du cancer du sein qui permet un diagnostic plus précoce (49,5 % sur la période 2013-20145 vs 51,3 % pour la France entière sur la même période).
Pour les cancers du côlon et du rectum, qui concernent les femmes et les hommes, la participation au dépistage organisé est plus faible que celle au dépistage du cancer du sein. Sur la période 2013-20146, seuls 25,7 % des personnes éligibles en Martinique y ont participé (vs 32,1 % pour la France entière sur la même période).
Or, la détection précoce de ces cancers, grâce au dépistage régulier, permet de meilleures chances de guérison avec des traitements généralement moins lourds. Or la lourdeur du traitement constitue un paramètre très important pour des patients porteurs de comorbidités.
Si pour le cancer du col de l’utérus, les données montrent une SNS à 5 ans en Martinique équivalente à la moyenne estimée en France hexagonale7, la vaccination des enfants dès l’âge de 11 ans contre les virus HPV à l’origine de ces cancers et le dépistage pour les femmes de 25 à 65 ans demeurent insuffisants. Ainsi, en 2022, 12,1 % des jeunes filles de 16 ans et 1,2 % des garçons du même âge ont été vaccinés en Martinique8 et 44,1 % des femmes ont réalisé l’examen de dépistage sur la période 2019-20219. Une augmentation de ces taux, couplée à un accès facilité aux spécialistes, permettrait d’une part de favoriser des détections plus précoces des cancers du col de l’utérus et d’autre part de diminuer le nombre de ces cancers (plus de 3 100 cancers du col de l’utérus par an en France).
En ce qui concerne le cancer du corps de l’utérus, le stade au diagnostic plus avancé, le moindre suivi gynécologique, et un moins bon état général sont autant de facteurs pronostiques qui peuvent expliquer la surmortalité importante et précoce chez les femmes plus âgées par rapport à l’Hexagone.
Pour le cancer de l’œsophage, des diagnostics à un stade avancé, la lourdeur de certains traitements, le poids des comorbidités, dont celles liées à la consommation d’alcool et de tabac10 ou encore le manque de spécialistes de cette pathologie sur le territoire peuvent expliquer cette différence.
Enfin, le territoire disposera très prochainement d’équipements de pointe en médecine nucléaire pour la majorité des diagnostics et le traitement des cancers ; les délais de prise en soins devraient être améliorés.
Une forte prévalence de certaines maladies chroniques
La prévalence de certaines maladies chroniques majore les risques de comorbidités susceptibles de réduire la survie des personnes atteintes d’un cancer.
En Martinique, la prévalence du diabète connu (auto-déclaré) était en 2021 de 11,5 % en population adulte11, soit deux fois plus élevée que celle estimée dans l’Hexagone (étude Esteban 2016).
Les populations y sont également, de par leurs habitudes et comportements de vie (sédentarité, alimentation déséquilibrée générant du surpoids et de l’obésité -1 jeune sur 4 et plus de 1 adulte sur 2 est en surpoids ou en situation d’obésité) plus exposées à l’insuffisance rénale chronique terminale qui touche plus de 1 000 personnes pour 1 million d’habitants (contre 500 pour 1 million au niveau national). La prévalence de l’hypertension artérielle déclarée était de 31,5 % en Martinique en 2021 vs 20 % en France hexagonale12.
Repères démographiques et socio-économiques
La Martinique, avec 368 783 habitants au 1er janvier 2018, fait partie des territoires les plus âgés de France, avec une population en net recul. En 2023, 34 % des habitants sont âgés de plus de 60 ans. Le vieillissement s‘est fortement accéléré au cours de ces trois dernières décennies. En 1990, 72 % des Martiniquais avaient moins de 44 ans. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 48 %.
Par ailleurs, le taux de chômage y était en 202213 de 12 % contre 7 % dans l’Hexagone. Selon l’Insee, 44 300 ménages martiniquais se situent sous le seuil de pauvreté, soit 27 % de la population régionale et 32 % des enfants. Ce taux de pauvreté est près de deux fois supérieur à celui qui est observé en France hexagonale (14,4 %).
Or, il a été observé que la survie des personnes atteintes de cancer tend à être plus basse chez celles qui vivent dans les environnements socio-économiques les plus défavorisés14. De nombreux facteurs peuvent l’expliquer, tels que les difficultés d’accès au système de soins (dépistages, diagnostics précoces, délais et certaines modalités d’accès aux traitements), ou les caractéristiques des patients (comorbidités, comportements à risques, facteurs psychosociaux).
Une mobilisation nationale et territoriale dans les politiques de lutte contre les cancers
Les territoires isolés, dont font partie les outre-mer, doivent être en mesure de proposer à leurs résidents une offre de santé adaptée et de qualité. La stratégie décennale de lutte contre les cancers dans son axe 4 “S’assurer que les progrès bénéficient à tous” prévoit une mesure spécifique à destination de ces territoires. Il s’agit d’adapter les actions de lutte contre les cancers, de garantir la coordination de l’ensemble des acteurs, notamment grâce au numérique, de soutenir les coopérations dans les zones ultramarines que ce soit en prévention, soins, recherche), d’assurer l’équité d’accès des personnes aux soins tout au long du parcours et de développer l’attractivité des territoires pour les patients et les professionnels.
Dans ce cadre, l’Institut national du cancer, le registre des cancers de la Martinique et Santé publique France, travaillent en étroite collaboration avec l’Agence régionale de santé de la Martinique.
L’ARS a déployé une déclinaison de la stratégie décennale pour adapter les mesures et actions aux spécificités afin de mieux répondre au contexte territorial. La feuille de route régionale témoigne de son ambition forte en matière de lutte contre les cancers.
Pilotée et mise en œuvre par l’ARS, en collaboration avec les acteurs de la cancérologie et coordonnée par la plateforme régionale d’oncologie de Martinique, elle s’articule autour de 4 axes stratégiques :
- axe 1 : mieux prévenir et dépister ;
- axe 2 : coordonner les acteurs pour un meilleur suivi et une qualité de vie accrue pour les patients ;
- axe 3 : réduire les délais de prise en charge et proposer un accompagnement pour garantir l’égalité des chances ;
- axe 4 : lutter contre les inégalités.
Chaque axe prioritaire étant ensuite décliné en objectifs opérationnels.
Par ailleurs, la directrice générale de l’ARS, Madame Anne Bruant-Bisson, a sollicité l’appui de l’Institut national du cancer pour établir, en lien avec les acteurs de santé du territoire, des recommandations en matière de lutte contre les cancers. Ainsi, la mission d’appui qui s’est déroulée du 13 au 17 novembre dernier a permis de rencontrer les principales parties prenantes et de faire le constat de l’implication déjà forte de tous les acteurs locaux pour améliorer la situation de la cancérologie sur le territoire. La mission a ainsi pu formuler des constats et des préconisations contextualisés, s’appuyant sur les ressources en place et les contraintes existantes, pour assurer la coordination des parcours, optimiser le recours à l’hospitalisation à domicile, développer une stratégie d’éducation à la santé et d'amélioration de la littératie ou encore pour favoriser le déploiement d’interventions ou expérimentations sur des enjeux spécifiques de la Martinique. Les conclusions de ce rapport seront remises à l’ARS dans les prochains jours.
Suite à cette mission, la direction générale de l’ARS a d’ores et déjà mis en place un comité de pilotage qui s’est réuni deux fois en présence des élus nationaux et territoriaux, des associations d’usagers, des acteurs de santé, du social, du médico-social, du premier recours et des institutions partenaires. L’ARS et le GIP PROM participent aux travaux du CIOM afin de contribuer activement à la réalisation du plan d’action. Une version révisée de la feuille de route territoriale est attendue pour juin 2024. Un agenda sera communiqué à l’ensemble des parties prenantes.
Enfin, dans le cadre du Comité Interministériel des outre-mer qui s’est tenu le 18 juillet 2023 à Matignon, la Première ministre a annoncé une mesure dédiée à la cancérologie (mesure 25). Celle-ci prévoit de :
« Réduire les délais de prise en charge des cancers Les quatre types de cancers les plus prégnants en outre-mer sont les cancers du côlon-rectum, du sein, du col de l’utérus et de la prostate. Pour ces quatre pathologies, les moyens de prévention et de détection précoce seront doublés en outre-mer. Pour les malades du cancer, l’accès aux soins dans des délais rapides constitue un enjeu majeur justifiant la mise en œuvre de coopérations entre établissements de santé pour renforcer la structuration de l’offre existante. Un plan d’action sera finalisé début 2024 pour réduire significativement les délais de prise en charge des cancers ».
Présentation des résultats : trois catégories de pronostic selon la survie nette standardisée à 5 ans
Les différentes localisations étudiées ont été présentées en trois groupes définis en fonction de la survie nette standardisée (SNS) à 5 ans sur la période 2008 – 2018 :
- pronostic favorable : SNS à 5 ans supérieure à 65 % ;
- pronostic intermédiaire : SNS à 5 ans comprise entre 33 % et 65 % ;
- pronostic défavorable : SNS à 5 ans inférieure à 33 %.
Les indicateurs de l’étude : définitions
- La survie observée correspond à la proportion de personnes encore vivantes à un temps donné après le diagnostic, toutes causes de décès confondues.
- La survie nette est la survie que l’on observerait si la seule cause de décès possible était le cancer ; elle découle directement du taux de mortalité en excès. Pour contrôler les variations de structures d’âges, la survie nette ‘tous âges’ est standardisée sur l’âge.
- Le taux de mortalité en excès est estimé via une modélisation statistique par comparaison au taux de mortalité attendu en population générale.
Ces deux indicateurs (survie nette et taux de mortalité en excès) permettent des comparaisons entre sexe, âge, année ou pays qui ne sont pas affectés par des différences de mortalité due aux autres causes que le cancer étudié.
1- L’indicateur principalement utilisé dans cette étude est la survie nette standardisée sur l’âge (cf. encadré en fin de communiqué pour la définition).
2- Départements couverts par un registre des cancers uniquement.
3- Ibid.
4- Ibid.
5- Les données de participation indiquées ici sont celles correspondant à la période d’analyses des données de survie. Les données les plus récentes indiquent un taux de participation au dépistage du cancer du sein de 45,4 % sur la période 2021-2022 en Martinique et de 47,7 % au niveau national (source Santé publique France). Données également disponibles sur https://geodes.santepubliquefrance.fr/
Plaine J et al. Évaluation de la performance du programme du dépistage organisé du cancer du sein : résultats et évolution des indicateurs de performance dans les DROM. 2023.
6- Les données de participation indiquées ici sont celles correspondant à la période d’analyses des données de survie. Sur la période 2021 – 2022, le taux de participation au dépistage du cancer colorectal est de 28,1 % en Martinique et de 34,3 % au niveau national (source Santé publique France). Données également disponibles sur https://geodes.santepubliquefrance.fr/
7- Départements couverts par un registre uniquement.
8- Au niveau national, ce taux atteint pour l’année 2022, 41,5 % pour les jeunes filles de 16 ans et 8,5 % pour les garçons (schéma complet à 2 doses).
9- Au niveau national, ce taux est de 59,7 % pour la même période (2019-2021 – source Santé publique France).
10- Il est important de noter qu’en Martinique, la prévalence quotidienne du tabac et d’alcool est inférieure à celle de l’Hexagone (Source BEH, Santé publique France).
11- Hernandez H, Piffaretti C, Gautier A, Cosson E, Fosse-Edorh S. Prévalence du diabète connu dans 4 départements et régions d’outre-mer : Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion. Résultats du Baromètre de Santé publique France de 2021. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(20-21):424-31. https://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/20-21/2023_20-21_2.html
12- Olié V, Gabet A, Grave C, Gautier A, Blacher J. Prévalence de l’hypertension artérielle déclarée dans les départements et régions d’outre-mer. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(8):138-47. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/8/2023_8_2.html
13- INSEE FLASH MARTINIQUE - No 186 Paru le : 28/06/2023
14- Tron L, Belot A, Fauvernier M, Remontet L, Bossard N, Launay L, Bryere J, Monnereau A, Dejardin O, Launoy G; French Network of Cancer Registries (FRANCIM). Socioeconomic environment and disparities in cancer survival for 19 solid tumor sites: An analysis of the French Network of Cancer Registries (FRANCIM) data. Int J Cancer. 2019 Mar 15;144(6):1262-1274. doi: 10.1002/ijc.31951. Epub 2018 Dec 3. PMID: 30367459. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30367459/