La collectivité départementale de Mayotte, territoire français de l'océan indien, a connu, entre avril et juillet 2004, une augmentation inhabituelle du nombre de décès chez des nourrissons constatée par les pédiatres du Centre hospitalier de Mamoudzou (CHM). Ces enfants, sans antécédent médical particulier, âgés de I à 3 mois avaient présenté une détresse cardio-respiratoire d'apparition brutale et d'évolution rapidement fatale. L'hypothèse d'un béribéri (carence en vitamine Bi ou thiamine), rapidement évoquée par les pédiatres hospitaliers, a conduit l'Institut de veille sanitaire (InVS) à envoyer une mission d'investigation épidémiologique sur place avec pour objectifs de documenter avec précision ce phénomène sanitaire, tenter d'en identifier des facteurs de risque et orienter les mesures de contrôle à mettre en oeuvre à court et moyen terme. Une définition de cas à trois niveaux de probabilité, un système de signalement et de recherché active des cas ont été mis en place. Les données ainsi collectées ont permis de décrire l'épidémie en terme de temps, de lieu et de personnes. Une étude analytique de type cas/témoins a été menée chez 21 mères de cas et chez 40 femmes témoins. Cette étude a été réalisée à domicile en collaboration avec les éducatrices de santé de la Direction des affaires sanitaires et sociales (Dass) de Mayotte à l'aide d'un questionnaire standardisé, portant sur les facteurs socioculturels, cliniques, alimentaires et environnementaux. L'existence de cofacteurs infectieux, toxiques ou d'une autre nature, connus pour être associés au béribéri a par ailleurs été recherchée. Entre le 4 avril et le 13 juillet 2004, 32 cas de béribéri âgés de I à 4 mois ont été signales, provenant majoritairement de la commune de Mamoudzou (53,1 %). Parmi ces cas, 20 sont décédés (létalité 62,5 %). La mise en place en urgence début juin de campagnes de supplémentation en vitamine BI a permis de contrôler l'épidémie. La majorité des mères des cas n'était pas de nationalité française (85 % d'entre elles étaient comoriennes). La durée médiane de séjour des mères sur l'île de Mayotte était de 6 ans. Des signes cliniques évocateurs de béribéri au cours de la grossesse ou du post-partum étaient retrouvés chez 44 % des mères de cas. L'analyse de l'alimentation a montré que les mères des cas avaient une alimentation moins diversifiée que les mères témoins au cours de leur grossesse et de la période du post-partum. La consommation traditionnelle de oubou (bouillie de riz) pendant l'allaitement était plus fréquente chez les mères de cas. L'utilisation de lait artificiel était moins fréquemment rapportée par les mères des cas. Aucun des cofacteurs éventuels recherchés n'a pu être mis en évidence malgré un champ de recherche large. Les résultats de cette investigation permettent d'affirmer la survenue d'une épidémie de Béribéri infantile à Mayotte, phénomène rare, grave et sans précédent sur le territoire français. De graves carences alimentaires dues à des facteurs économiques et culturels semblent être l'élément majeur à l'origine de cette épidémie. Les mesures de contrôle prises dans l'urgence ont permis de juguler l'épidémie, mais les questions alimentaires et nutritionnelles constituent à l'évidence à Mayotte un vaste et préoccupant problème de santé publique. La poursuite de la documentation de ce problème ainsi que la mise en place de mesures de contrôle à plus long terme constituent une priorité sanitaire. La réalisation de ces enquêtes et les mesures qui en découlent constituent une urgence de santé publique pour Mayotte, car s'il est vrai que l'épidémie de béribéri à laquelle l'île a été confrontée a pu être jugulée rapidement avec succès, il n'en demeure pas moins vrai que les mesures mises en oeuvre se sont attaquées aux conséquences et non aux causes des problèmes nutritionnels. Il n'est pas exclu qu'à plus ou moins brève échéance le problème de l'alimentation à Mayotte provoque d'autres situations d'urgence sanitaire, qu'il s'agisse du béribéri ou d'autres pathologies d'origine nutritionnelle. L'ensemble de ces considérations nous amène à formuler les recommandations suivantes: - poursuivre la supplémentation en thiamine des femmes enceintes et des nourrissons jusqu'à ce que des mesures à moyen et long terme soient élaborée - poursuivre la surveillance spécifique du béribéri - suivre l'évolution de l'épidémie et l'apparition d'éventuels nouveaux cas - évaluer l'efficacité des campagnes de supplémentation - renforcer dès à présent les mesures de prévention et de promotion d'une alimentation diversifiée chez les femmes enceintes et allaitantes de Mayotte - étudier la faisabilité d'approvisionner Mayotte avec du riz de meilleure qualité nutritionnelle que celui actuellement distribué - documenter la prévalence du lalavi et d'éventuelles autres carences vitaminiques et nutritionnelles parmi les femmes enceintes de l'île - préparer une étude en population sur les comportements et les pratiques nutritionnelles à Mayotte, de manière à évaluer l'état nutritionnel de la population de Mayotte, à identifier l'ensemble des carences potentielles et à adapter les messages et les stratégies de prévention - mettre au point, sur la base des résultats de cette étude et sur ceux d'autres travaux, une stratégie de prévention spécifique du béribéri à Mayotte, ainsi qu'une stratégie beaucoup plus large de prise en charge des problèmes nutritionnels lourds auxquels Mayotte doit faire face. (R.A.)
Auteur : Quatresous I, Tajahmady A, Sissoko D
Année de publication
: 2004
Pages : 69 p.