Les populations éloignées du système de santé regroupent des populations très hétérogènes. Elles sont représentées par l'ensemble des populations mal desservies par le système de santé du fait de leurs conditions de vie, notamment matérielles, de leur précarité socio-économique et de leur position sociale (logement, emploi, éducation, revenus), et administrative (accès aux droits et au statut administratif, couverture santé). Ces difficultés témoignent également que le système de santé qui est sous forte pression est mal adapté pour répondre aux besoins spécifiques de ces populations.
Ces populations ont également à faire face à de l’insécurité alimentaire, à une instabilité du logement, à des discriminations et à de l’insécurité, auxquels s’ajoutent pour certaines, la barrière linguistique, un manque de soutien social et une faible littératie en santé. De plus, la représentation qu’elles ont de leur corps et de leur santé se traduit par un référentiel de bonne santé différent de la population générale et à une sous-estimation de la gravité de la maladie.
En résumé, ces populations subissent une triple peine : une plus grande exposition à la maladie, une moindre adhésion aux messages de prévention, et un moindre recours aux soins. Les interventions favorisant le recours aux soins et à la prévention de ces populations doivent favoriser la capacité des services à adapter leurs organisations, renforcer les capacités des personnes à prendre des décisions favorables à leur santé et à les accompagner tout en agissant sur les déterminants structurels de santé, en développant des programmes favorisant l’accès et le maintien dans un logement sain, l'emploi pour tous à une alimentation saine, à une éducation pour tous et la lutte contre la discrimination et l'exclusion.
La médiation en santé est l'une de ces interventions. A ce jour, aucune étude n'a évalué l’efficacité de la médiation en santé et de ses conditions d'efficacité.
L’article qui vient de paraître dans la revue BMJ Open [1], basée sur une scoping review (revue de cadrage/exploratoire de la littérature) analyse les conditions d’efficacité d’une médiation en santé.
3 questions à Elodie Richard1, Fnasat-GV, PHAReS, Centre Inserm U1219, Bordeaux Population Health, Université de Bordeaux et Stéphanie Vandentorren, Direction scientifique et internationale, Santé publique France, Centre Inserm U1219, Bordeaux Population Health, Université de Bordeaux
La médiation en santé désigne la fonction d’interface assurée dans la proximité entre les personnes éloignées du système de santé et les professionnels concernés par leurs problématiques (professionnels socio-sanitaires, services de l'État, élus…). Elle a pour but de faciliter l’accès à la prévention et aux soins des personnes présentant un ou plusieurs facteurs de vulnérabilité sociale : isolement géographique, familial ou social, pratiques ou comportements à risque pour la santé, environnement juridique et sanitaire défavorable à la santé, précarité économique ou administrative, méconnaissance du système de santé en France, difficultés liées à la barrière de la langue française ou du numérique, faible niveau de littératie en santé, discrimination.
Elle articule des actions individuelles et/ou collectives d’information, d’éducation, de communication (ie. « Faire avec ») et de navigation dans le système de santé auprès des personnes (ie. « Aller et ramener vers ») et un tiers médiation avec des actions de mobilisation, d’engagement et de mise en collaboration des acteurs locaux entre eux et entre les populations et les acteurs locaux.
Les médiateurs.rices en santé peuvent être issu.e.s ou non de la population accompagnée, mais ont acquis leur légitimité auprès d’elle par la connaissance fine de leur territoire, des problématiques rencontrées par la population, ainsi que des acteurs locaux.
La médiation en santé permettrait de renforcer les capacités des personnes et de les accompagner à surmonter les obstacles en développant leur pouvoir d’agir dans leur parcours santé. Elle permettrait également de révéler les besoins sociaux non couverts et les défaillances d'un système qui demeure mal adapté à toutes et tous, de les porter à la connaissance des institutions et des acteurs pour une meilleure prise en compte et une adaptation des dispositifs de santé aux spécificités de ces populations. Elle permet enfin de développer des programmes d’accès (droits, logement, emploi, éducation) et de lutter contre les inégalités d’accès aux soins et à la prévention ; ainsi que de lutter contre les discriminations et l’exclusion sociale.
La médiation en santé apparaît comme une intervention prometteuse mise en œuvre par des méditeurs.rices en santé ayant un rôle pivot au sein du système de santé pour garantir le droit à la santé des personnes en situation de vulnérabilité.
Les pratiques de médiation en santé sont multiformes même si une base d'intervention commune existe et a fait l’objet d’un référentiel auprès de l’HAS. Elle doit combiner diverses pratiques pour s'adapter à un contexte socialement changeant et aux caractéristiques des populations. Il s'agit d'un système interventionnel2. Selon cette approche systémique, nous avons cartographié les conditions de succès et de faisabilité de la médiation en santé dans un cadre conceptuel faisant l'hypothèse de leurs interrelations.
Dans la première version du cadre conceptuel de la médiation en santé, les conditions de succès et de faisabilité d’ordre contextuel (i.e. les facteurs externes à l'intervention de médiation et qui la pilotent) forment le macro-système. Il s'agit de l'engagement politique et financier, de la possibilité d'agir sur les déterminants structurels et intermédiaires de la santé, ainsi que de la sécurisation du médiateur de santé dans son activité.
Les conditions de succès et de faisabilité spécifiques à l’intervention sont les principes d’altérité, d’universalisme avec une vision holistique de la santé, les fonctions d’interfaçage, d’intersectorialité au sein d’un réseau localement ancré. S’y ajoute la formalisation des actions dans des plans avec des moyens adéquats et des actions de médiation en santé correspondant aux principes éthiques de toute médiation selon Faget J.3 : Aller/Ramener vers, faire avec, être ensemble et faire ensemble.
Les conditions liées au médiateur de santé sont un savoir être bienveillant, à l’écoute, une grande flexibilité mentale, de la persévérance tout en étant congruent avec soi-même, une posture de confiance, de non-jugement dans un partage des pouvoirs et avec des rétroactions positives et une interdépendance forte entre le médiateur en santé, les acteurs locaux et la population.
Les prochaines étapes à franchir pour favoriser la mise en œuvre de la médiation en santé sont cruciales car la médiation en santé est un processus cyclique alliant transmission et émancipation du niveau individuel au niveau sociétal. En effet, ces interventions sont réalisées dans une logique de développement du pouvoir d’agir auprès des personnes qui ont une perception de contrôle limité sur leur environnement et doivent en ce sens agir sur les déterminants structurels de la santé en vue d’obtenir un effet, en particulier auprès les personnes éloignées du système de santé. Agir sur l’accès aux droits, l’accès et le maintien au logement, à une alimentation saine, à l’éducation, à un emploi sont autant de leviers qui vont permettre le recours aux soins et à la prévention.
De nombreuses étapes restent à franchir pour faciliter la mise en œuvre de la médiation à grande échelle. Une étape importante concerne l’évaluation, il s’agit d’identifier et de financer des interventions prometteuses dans un premier temps à des fins d’évaluation, de promouvoir des évaluations au regard des critères d’efficacité par la recherche et d’accompagner et soutenir la recherche dans ce secteur. Une seconde étape clé est la sécurisation du cadre professionnel de médiateur.rice en santé. Le financement et la sécurisation des postes de médiateurs en santé sont des éléments importants pour permettre une reconnaissance et une légitimité de ce métier tant envers les acteurs du monde social qu’envers les acteurs du monde de la santé. Un cadre reconnu sur la formation qui soit professionnalisant, et intègre les éléments d’efficacité mis en évidence par la recherche permettrait une meilleure reconnaissance des pratiques et des actions réalisées par les médiateurs.rices en santé.
Santé publique France a engagé et soutenu des travaux recherche sur la médiation en santé avec l’Université de Bordeaux. Un dossier spécial de la revue La santé en action est mis à disposition des professionnels avec de nombreuses contributions de chercheurs et professionnels de terrain afin de partager les connaissances et expériences dans ce domaine. L’agence soutient également et finance les actions de développement des compétences et de mutualisation des pratiques du réseau de médiateurs dans le cadre du programme national de médiation en santé porté par la FNASAT, ainsi que des évaluations de médiation en santé (projet IKAMBERE). Au niveau des territoires, en juin 2022, l’agence régionale de santé Provence Alpes Côte-d’Azur a choisi de soutenir un projet pilote de médiation en santé porté par deux associations, Sept et Corhesan, intervenant dans les quartiers les plus défavorisés de Marseille (voit encadré).
Médiation en santé vers les populations vulnérables à Marseille
Ce projet de médiation en santé vers les populations vulnérables de Marseille fait suite aux programmes de médiation en santé développé par les associations dans le cadre de la lutte anti-Covid (Programme Médilac). Les interventions de médiation en santé du projet marseillais ont débuté en octobre 2022. Elles ciblent en priorité le dépistage des cancers et les maladies à prévention vaccinale, et peuvent être élargies aux besoins de santé exprimés par les personnes rencontrées et à l’ouverture des droits.
L’évaluation du projet est menée dans le cadre d’un partenariat entre Santé publique France, l’ARS Paca, la CPAM, une unité mixte de recherche (UMR SESSTIM) et les deux associations locales, Sept et Corhesan. Elle a comme objectif principal d’évaluer l’efficacité des interventions de terrain en mesurant leur impact sur le niveau de couverture vaccinale et le niveau de dépistage. L’évaluation porte sur plusieurs axes :
- évaluation du processus (recueil en routine d’indicateurs d’activité et de performance) ;
- évaluation quantitative visant à apporter des données probantes de l’effet des interventions ;
- évaluation qualitative.
L’évaluation quantitative comporte trois axes :
- des enquêtes transversales répétées évaluant l’hésitation vaccinale et les connaissances attitude pratique vis-à-vis des dépistages des cancers,
- une enquête écologique mesurant les volumes de remboursement des actes de soins à l’échelle de l’Iris
- une enquête de cohorte évaluant individuellement la réalisation d’actes de soins.
Ces trois enquêtes seront réalisées selon une méthode « avant-après » dans les quartiers bénéficiant des interventions et « ici-ailleurs » en comparant les quartiers ciblés par les interventions à des quartiers témoins.
Référence de l'article :
[1] Richard E, Vandentorren S, Cambon L. Conditions for the success and the feasibility of health mediation for healthcare use by underserved populations: a scoping review. BMJ Open 2022;12:e062051. doi: 10.1136/bmjopen-2022-062051.
Autres références :
1 Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une thèse en Santé Publique portée par un CIFRE entre l’université de Bordeaux et la FNASAT, sous la direction de Stéphanie Vandentorren (Santé publique France) et Linda Cambon (Chaire Prévention ISPED, Centre Inserm U1219, BPH, Université de Bordeaux, CHU de Bordeaux). Ce travail a bénéficié du soutien financier de l’institut National contre le Cancer et de Santé Publique France.
2 Cambon L, Terral P, Alla F. From intervention to interventional system: towards greater theorization in population health intervention research. BMC Public Health. déc 2019;19(1):339.
3 Faget J. Médiations : les ateliers silencieux de la démocratie. ERES. 2015;304.
En savoir plus sur la médiation en santé
- HAS. La médiation en santé pour les personnes éloignées des systèmes de prévention et de soins. 2017;70.
- La médiation en santé : un nouveau métier pour lever les obstacles aux parcours de soin et de prévention. La Santé en Action. N°460 - Juin 2022. 52p.