Largement utilisé depuis des siècles, le plomb est un polluant toxique pour l’ensemble de la population mais encore très répandu dans l’environnement. Malgré une diminution globale de l’exposition de la population générale au plomb, l'Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME) a estimé en 2019 que, à l’échelle mondiale, cette exposition représentait 62,5% de la déficience intellectuelle développementale idiopathique, 8,2% des cardiopathies hypertensives, 4,7% des accidents vasculaires cérébraux, 4,6% des cardiopathies ischémiques et 3% des maladies rénales chroniques.
En France, la loi du Grenelle de l'environnement (n◦2009-967, adoptée le 3 août 2009) a conduit à la mise en place d'un programme national de biosurveillance destiné à estimer l'exposition de la population générale à diverses substances environnementales. L’étude Esteban mise en place a permis de décrire et de suivre les niveaux d’imprégnation de la population générale, sur une centaine de substances dont le plomb.
De plus, les effets toxiques sans seuil et parfois irréversibles du plomb (néphrotoxicité, neurotoxicité, reprotoxicité, fœtotoxicité, etc.) justifient de veiller au maintien de faible niveaux d’exposition au plomb et à la surveillance des plombémies.
Le saturnisme infantile est une intoxication au plomb chez l’enfant de moins de 18 ans. Il peut entrainer de graves conséquences irréversibles notamment sur le développement cognitif et psychomoteur et peut avoir des effets même à faibles concentrations. Cette problématique fait donc également l’objet d’une surveillance spécifique via entre autre le recours au système de déclaration obligatoire des cas de saturnisme infantile.
Bien que réglementé par des directives européennes, le plomb nécessite donc une surveillance étroite en raison de sa persistance dans l'environnement et de sa toxicité à effet sans seuil. Quelle est la situation actuelle de l’exposition de la population française ? L’article qui vient de paraître dans la revue Environmental Research apporte des éléments de réponse à cette question, sur les conditions d’exposition dont certaines restent insuffisamment documentées et sur les approches complémentaires menées à Santé publique France.
3 questions à Amivi Oleko et Marie Pecheux, Santé publique France
Santé publique France a pour missions de surveiller l’exposition au plomb de la population vivant en France à travers deux approches : des études de biosurveillance comme Esteban (Etude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition), et le système national de surveillance des plombémies de l’enfant (SNSPE).
L’étude épidémiologique Esteban conduite en 2014-2016 a permis de déterminer les niveaux d’imprégnation par le plomb de la population générale française âgée de 6 à 74 ans, d’analyser les déterminants liés à l’exposition de la population au plomb et de suivre les tendances temporelles. La précédente étude ayant mesuré la plombémie (concentration de plomb dans le sang) des adultes français était l’étude ENNS (Etude nationale nutrition santé) conduite en 2006-2007. Entre ENNS et Esteban, la plombémie moyenne des adultes (18-74 ans) a diminué de 27,5 µg/L à 18,5 µg/L.
Le SNSPE quant à lui, cible les enfants de 0 à 17 ans inclus, à risque de surexposition au plomb. Ces situations d’exposition peuvent résulter de leur habitat ou lieu de vie (ex : peintures au plomb), de leurs loisirs [ex : tir sportif] (1), ou habitudes de vie et pratiques (ex : utilisation de remèdes traditionnels contenant du plomb), mais également d’activités d’apprentissage professionnel (ex : apprenti en fabrication ou rénovation de vitraux). Ce système de surveillance inclut la déclaration obligatoire (DO) des cas de saturnisme et concerne les enfants ayant bénéficié d’au moins un dosage de la plombémie.
Le SNSPE mesure donc l’incidence d’intoxication au plomb chez des enfants considérés à risque de surexposition qui sont difficiles à capter dans les études de biosurveillance telle que Esteban.
Le niveau moyen de plombémie des enfants dans le SNSPE entre 2015 et 2018 était de 18,6 µg/L. Ce niveau était de 9,9 µg/L chez les enfants âgés de 6 à 17 ans, selon l’étude Esteban. Pour information, dans son rapport du 23 mai 2014, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) (2) préconise une politique de réduction des expositions au plus bas niveau possible pour tenir compte des effets sans seuil du plomb et recommande un niveau d’intervention rapide à partir d’une plombémie de 50 μg/L et un seuil de vigilance à 25µg/L . Mais ces seuils ne correspondent pas à un seuil d’innocuité du plomb, ce métal étant un toxique considéré sans seuil. Des effets sur les capacités cognitives des jeunes enfants ont notamment été observés avec des plombémies inférieures au seuil de vigilance. Il est à noter que ces seuils de gestion concernent également la femme enceinte.
L’étude Esteban a permis de montrer que malgré une baisse de la plombémie, l’exposition de la population est généralisée. Le plomb a été quantifié dans l’ensemble des échantillons de sang analysé. La recherche des déterminants de l’exposition a révélé des facteurs d’exposition connus (alimentation, consommation d’eau de robinet et d’alcool, consommation du tabac (cigarettes), l’âge, le sexe, l’ancienneté du logement, l’activité professionnelle des parents (facteur de risque chez les enfants), etc. Esteban par exemple a montré que les enfants de 6 à 10 ans étaient plus imprégnés que les enfants plus âgés (11-17ans), et que les filles étaient moins imprégnées que les garçons. Elle a également montré la persistance des facteurs d’exposition au plomb déjà connus et décrits dans la littérature scientifique, et a permis de définir des Valeurs de référence d’exposition (VRE) (3) au plomb. Ces valeurs servent de référence pour comparer la plombémie mesurée chez un individu ou un sous-groupe de la population française Il est ainsi possible d’identifier des individus surexposés par rapport à la population de référence. À titre d’exemple, en 2019, un dispositif de surveillance post incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris a été mis en place, les niveaux de plombémie des enfants dépistés autour de Notre-Dame étaient comparés à ceux des enfants de l’étude Esteban (4).
Concernant les 2 511 cas incidents de saturnisme déclarés dans le SNSPE entre 2015 et 2018, un tiers résidaient en Guyane et près d’un tiers résidait en Ile-de-France. La région Provence-Alpes-Côte d'Azur regroupait quant à elle près de 16 % des cas. Il s’agissait majoritairement de garçons (52 % des cas incidents) avec un sex-ratio (H/F) moyen de 1,11. Les enfants âgés de moins de 3 ans représentaient 40 % des cas de saturnisme, et parmi eux, 45 % avaient moins d’un an.
Les principaux facteurs de risques environnementaux identifiés par les médecins au moment de la prescription, étaient en lien avec l’habitat ancien et/ou dégradé, la présence d’autres enfants intoxiqués dans leur entourage, et un comportement de pica.
La présence de symptômes était peu fréquente chez les cas incidents (8 %), il s’agissait principalement de troubles du comportement tels qu’une irritabilité, ou une agitation, parfois associées à des difficultés d’apprentissage; de troubles digestifs de type douleurs abdominales-constipation, des signes neurologiques (céphalées, ataxie cérébelleuse, retard mental) et de troubles du spectre autistique. Les signes cliniques étant peu présents et peu spécifiques d’une intoxication au plomb, ces résultats montrent l’importance d’identifier les enfants intoxiqués via la recherche des facteurs de risques environnementaux.
L’exposition au plomb reste un problème de santé publique en France. La poursuite de la sensibilisation des professionnels de santé aux sources d’exposition par le plomb permet une meilleure identification des enfants à risque. Les résultats d’Esteban et du SNSPE confirment la nécessité de poursuivre la surveillance de l’exposition au plomb et de continuer à documenter les facteurs de risques associés. Ils montrent que les efforts liés aux politiques publiques (remplacement des canalisations en plomb, diagnostic plomb dans les logements, essence sans plomb, rénovation de l’habitat ancien, etc.) doivent être poursuivis. Récemment, ce sont des cas de saturnismes en lien avec des activités de récupération des métaux qui ont pu être mis en évidence, nécessitant la mise en œuvre d’actions de prévention spécifiques (5).
Compte tenu de la toxicité du plomb et de ses effets néfastes sur la santé, maintenir des niveaux de plombémie le plus bas possible est un enjeu de santé publique. Les résultats du programme national de biosurveillance sont désormais des éléments permettant l’appui des décisions publiques en vue de poursuivre les efforts de réduction des expositions au plomb (ex : règlementation en matière de présence de plomb dans l’habitat et dans les canalisations d’eau potable, etc.).
L’étude Esteban a montré une exposition généralisée aux substances chimiques de la population française via une approche substance-par-substance permettant d'identifier les déterminants de l'exposition à un produit chimique. Il sera important à l’avenir de s’intéresser aux expositions multiples à des substances qui permettront d’apprécier la réalité de l'exposition à un cocktail de produits chimiques. Afin de vérifier la poursuite de la baisse des niveaux dans la population générale ainsi que la persistance ou non des facteurs de risque, la prochaine étude de biosurveillance devra inclure la mesure du plomb sanguin, et en particulier chez le jeune enfant. Il serait aussi opportun de disposer, par le biais de collaboration avec d’autres agences sanitaires, de données environnementales couplées aux données de biosurveillance afin de mettre en évidence des sources d’exposition émergentes.
Les populations les plus vulnérables restent les femmes enceintes, les enfants incluant les jeunes en activités d’apprentissage professionnel.
HBM4EU : Une initiative européenne au service de l’harmonisation des études de biosurveillance.
Le programme de recherche HBM4EU (2017-2022) initié par la Commission européenne vise à développer la biosurveillance en Europe et à harmoniser les pratiques. Santé publique France y est impliquée en tant que pilote du programme national de biosurveillance. L’un des objectifs de ce programme est de collecter des données de biosurveillance humaine à l’échelon des citoyens européens afin de décrire leur imprégnation aux substances chimiques environnementales, via la mesure de biomarqueurs, et contribuer à l'amélioration des politiques publiques liées à ces substances.
L’article « Harmonization of Human Biomonitoring Studies in Europe: Characteristics of the HBM4EU-Aligned Studies Participants » paru récemment dans la revue Internationale Journal of Environmental Research and Public Health* présente la démarche adoptée par HBM4EU pour réaliser une large étude de biosurveillance à l’échelle européenne. L’étude de biosurveillance HBM4EU rassemble plus de 3 000 participants dans chacune des trois catégories d’âge répartis dans l’ensemble des pays de l’Union européenne : enfants âgés de 6 à 12 ans, adolescents âgés de 12 à 18 ans et adultes de de 20 à 39 ans. Une telle taille d’échantillon permet de dresser un tableau précis des niveaux d’exposition de la population européenne et d’accroître sensiblement la puissance des analyses réalisées. Des informations socio-démographiques (mode de vie, état de santé, environnement et alimentation) sont collectées pour chaque participant. Des données seront publiées pour plusieurs biomarqueurs (sanguins ou/et urinaires) tels que les bisphénols, les phtalates, les pyréthrinoïdes, les retardateurs de flamme, les substances per- et polyfluoroalkyles (PFAS), ou l’arsenic, et fourniront une base de référence pour la stratégie européenne et permettront d’émettre des recommandations pour améliorer le cadre d'échantillonnage des futures enquêtes de biosurveillance nationales.
Le projet HBM4EU sur la biosurveillance humaine s’est terminé en juin 2022. Les activités sont néanmoins poursuivies dans le cadre du partenariat européen PARC sur l’évaluation des risques liés aux substances chimiques avec notamment la prise en compte de leurs impacts sur les écosystèmes. Hormis le volet sur la biosurveillance humaine, PARC comporte un volet sur l’évaluation des risques et un volet toxicologique qui prennent en compte une dimension environnement. Santé publique France copilote le work package sur la surveillance des expositions.
A lire aussi :
*Gilles L, Govarts E, Rodriguez Martin L, Andersson AM, Appenzeller BMR, Barbone F, Castaño A, Coertjens D, Den Hond E, Dzhedzheia V, Eržen I, López ME, Fábelová L, Fillol C, Rambaud L, et al. Harmonization of Human Biomonitoring Studies in Europe: Characteristics of the HBM4EU-Aligned Studies Participants. Int J Environ Res Public Health. 2022 Jun 1;19(11):6787. doi: 10.3390/ijerph19116787. PMID: 35682369; PMCID: PMC9180444.
En savoir plus :
- Santé et environnement : données de biosurveillance et études d'imprégnation. Bull Epidemiol Hebd. 2020-07-07;(18-19):351-400
- Angerer J, Ewers U, Wilhelm M. Human biomonitoring : State of the art. Int. J. Hyg. Environ.-Health 210 (2007) 201–228.
- Rambaud L, Fréry N, Tagne-Fotso R, El Yamani M. Implication de Santé publique France au sein du projet HBM4EU pour développer une biosurveillance environnementale et professionnelle européenne. Bull Epidémiol Hebd. 2020;(18-19):390-4.
- Fillol C, Oleko A, Saoudi A, Zeghnoun A, Balicco A, Gane J, Rambaud L, Leblanc A, Gaudreau É, Marchand P, Le Bizec B, Bouchart V, Le Gléau F, Durand G, Denys S. Exposure of the French population to bisphenols, phthalates, parabens, glycol ethers, brominated flame retardants, and perfluorinated compounds in 2014-2016: Results from the Esteban study. Environ Int. 2021 Feb;147:106340. doi: 10.1016/j.envint.2020.106340. Epub 2021 Jan 12. PMID: 33422968.
(1) Bilan du dépistage du saturnisme chez l’enfant (0-17 ans) en lien avec la fréquentation des stands de tir.
(2) Rapport du HCSP 23 mai 2014 : Mise à jour du guide pratique de dépistage et de prise en charge des expositions au plomb chez l’enfant mineur et la femme enceinte (hcsp.fr) :
(3) VRE : correspondant au percentile 95 de la distribution.
(4) Etchevers A. Surveillance des plombémies infantiles réalisées à la suite de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris en 2019. Saint-Maurice : Santé publique France, 2021. 29 p.
(5) Brabant G, Etchevers A, Spanjers L, Coudret S, Comba M, Clarysse É, et al. Activités à risque d’exposition au plomb et saturnisme chez les enfants de familles de gens du voyage en Charente, 2017-2019.
En savoir plus sur :
- Les sources de surexposition au plomb et les activités à risque sont disponibles dans la mise à jour du guide pratique de dépistage et de prise en charge des expositions au plomb chez l’enfant mineur et la femme enceinte du HCSP
- Dossier Biosurveillance : Une étude de santé sur l'environnement, la biosurveillance, l'activité physique et la nutrition
- Rapport : Imprégnation de la population française par le plomb. Programme national de biosurveillance, Esteban 2014-2016.
- Santé en action : La Santé en action, Septembre 2016, n°437- Accompagner le développement du jeune enfant.
- Guide d'investigation environnementale des cas de saturnisme de l'enfant mineur – 2ème version, 2020.
- Evolution du saturnisme chez l’enfant. Bilan 2015-2018.