La France a l’un des taux d’allaitement les plus bas d’Europe, avec des inégalités spatiales et socio-économiques notables.
Des caractéristiques socio-économique plus défavorables, la naissance par césarienne et un petit poids de naissance de l’enfant contribuent à une moindre initiation à l’allaitement dans des pays comme la France et l’Espagne.
L'Initiative internationale « the Baby Friendly Hospital Initiative » (BFHI) (en français « Hôpitaux amis des bébés » - IHAB) (voir Encadré) lancé en 1991 par l’OMS et l’UNICEF améliore l'allaitement maternel dans de nombreux pays à revenu élevé. Parmi les recommandations listées dans le cadre de cette initiative, il est à noter qu’il existe un volet ciblant spécifiquement les bébés de petits poids de naissance.
L’initiative « Hôpital Ami des bébés » a été mise en œuvre pour la première fois en France en 2000.
L’étude parue ce mois-ci dans la revue International Journal of Epidemiology rapporte les résultats de l’évaluation de son efficacité dans les hôpitaux en France détenant le label IHAB. Elle vise notamment à évaluer le rôle de ce label dans la réduction des inégalités en matière d'allaitement maternel parmi différents sous-groupes mère-enfant présentant des caractéristiques socio-économiques, démographiques et cliniques variables.
3 questions à :
Andrea Guajardo-Villar, Direction des maladies non transmissibles et traumatisme, Santé publique France, dont les travaux de thèse ont été encadrés par le Dr Nolwenn Regnault (Direction des maladies non transmissibles et traumatisme, Santé publique France), le Dr Camille Pelat (Direction d’Appui au traitement et Analyse de données, Santé publique France) et le Pr Hugo Pilkington (Département de Géographie, Université Paris 8).
Concernant les maternités labellisées IHAB entrant dans notre évaluation, il est important de souligner qu’elles sont inégalement réparties sur le territoire, avec une forte concentration dans le Nord. Il était donc important pour cette évaluation de tenir compte des inégalités existant dans les différents territoires.
Nous avons utilisé les données des Enquêtes Nationales Périnatales de 2010 (n=), 2016 (n =), 2021 (n =) qui inclue chacune plus de 10 000 naissances (respectivement 13 075, 10 919 et 10 209). Le classement des maternités a été fait sur la base des 49 maternités IHAB en France métropolitaine ; celles qui étaient en démarche vers la labellisation ont été classées comme non-labellisées (20 en 2010, 40 en 2016 et 31 en 2021). La base de données en ligne de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a été utilisée pour les données concernant les caractéristiques des départements.
Nous nous sommes appuyés sur une série de 5 modèles de régression multinomiale à effets mixtes, en ajoutant progressivement des covariables d'ajustement : 1) labellisation IHAB de la maternité (oui/non) et l'année d'enquête, 2) les caractéristiques du nourrisson et de la mère, 3) les caractéristiques de la maternité, 4) les caractéristiques du département et l'effet spatial aléatoire et 5) les termes d'interaction. Dans le modèle 4, l'effet aléatoire spatial au niveau du département nous a permis de prendre en compte la variation des taux d'allaitement entre les départements et la corrélation entre les taux d'allaitement des départements voisins. En ajustant davantage le modèle sur les variables des départements français et l'effet aléatoire, l'effet positif de l'initiative IHAB sur les taux d'allaitement est devenu plus important. Cela peut s'expliquer par les fortes variations interrégionales de l'allaitement en France métropolitaine et par le fait que les maternités accréditées au titre de l'IHAB sont inégalement réparties sur le territoire. Il était donc essentiel d'ajuster la structure spatiale des données pour isoler l'effet de l'IHAB. Notamment, l'effet aléatoire spatial a représenté plus de variabilité dans le modèle que les variables départementales sélectionnées (pourcentage de population migrante, pourcentage de population avec études supérieures).
Dans les maternités labellisées IHAB, les taux bruts d'allaitement exclusif étaient plus élevés que dans les maternités non labellisées, alors que les taux bruts d'allaitement mixte étaient plus faibles que dans les maternités non labellisées. Il en va de même pour les taux ajustés sur les variables citées précédemment, dans tous les modèles. D'autre part, le taux brut d'allaitement total était plus faible dans les maternités labellisées, alors que le taux ajusté, tenant compte des covariables individuelles (âge maternel, niveau d'études, pays de naissance, statut marital, situation en fin de grossesse, revenu du foyer, parité, indice de masse corporelle, mode d’accouchement, délai entre l’accouchement et l’entretien, poids de naissance, âge gestationnel, délai entre l’accouchement et l’entretien, transfert néonatal) était plus élevé. Cette différence montre que, concernant les caractéristiques associées à l'allaitement, les mères accouchant dans les maternités IHAB différaient de celles accouchant dans des maternités non labellisées.
Dans notre étude, les nouveau-nés de faible poids de naissance sont moins allaités que les nouveau-nés de poids moyen, dans les maternités labellisées et non labellisées IHAB. Ceci est en accord avec des études précédentes réalisées en France, en Espagne et au Brésil (1-3). Nous avons constaté que l'augmentation des taux d'allaitement exclusif et la diminution des taux d'allaitement mixte associées à la labellisation IHAB étaient plus importantes chez les nouveau-nés de faible poids de naissance, contribuant ainsi à réduire l'écart existant entre ce groupe vulnérable et les bébés de poids normal.
L'IHAB a eu un impact positif sur les taux d'allaitement chez les mères ayant un niveau d'éducation moyen à élevé (Bac +2 et au delà). Pour les mères sans éducation (qui n’ont suivi aucune scolarité) ou avec un niveau d’éducation école primaire, qui représentent environ 2% de l’échantillon de l’étude, le taux d'allaitement exclusif était plus bas dans les maternités labellisées, bien qu'avec un large intervalle de confiance. Ces mères font partie d'un groupe minoritaire présentant des caractéristiques spécifiques qui devraient être analysées de manière plus approfondie.
De même, une étude transversale menée en Belgique (4) a montré que l'IHAB a amélioré les taux d'initiation à l'allaitement exclusif principalement dans les sous-groupes de mères qui étaient déjà plus susceptibles d'allaiter (en particulier celles ayant un niveau d'éducation niveau études supérieures).
La France a l'un des taux d'allaitement les plus faibles d'Europe, avec des inégalités spatiales et socio-économiques notables. Les résultats de notre étude montrent l’impact positif des maternités labellisés IHAB sur le taux d'allaitement exclusif. Elle indique également un taux d'allaitement mixte moindre comparé aux hôpitaux non labellisés. Nous avons démontré pour la première fois que cet impact positif était encore plus important chez les nouveau-nés de faible poids de naissance. Notre travail a démontré que la mise en œuvre de l'IHAB peut améliorer les pratiques d'allaitement dans les maternités, en accordant une attention particulière aux groupes vulnérables, comme les mères de nouveau-nés de faible poids de naissance, qui ont tendance à avoir des taux d’allaitement plus bas.
[1] Andrea Guajardo-Villar, Camille Pelat, Beatrice Blondel, Elodie Lebreton, Virginie Demiguel, Benoit Salanave, Ayoub Mitha, Hugo Pilkington, Nolwenn Regnault, ENP2021 Study Group, The impact of the Baby-Friendly Hospital Initiative on breastfeeding rates at maternity units in France, International Journal of Epidemiology, Volume 53, Issue 3, June 2024
L’enquête Epifane : améliorer les connaissances sur l’alimentation et la santé des « tout-petits »
Les premiers résultats de la 2ème édition de l’enquête Epifane réalisée par Santé publique France dans le cadre du système national de surveillance de l’alimentation des enfants pendant leur première année de vie viennent d’être rendus publics.
Rappelons que la première édition de cette enquête datant de 2012 soulignait la nécessité de promouvoir l'allaitement maternel et d’allaiter jusqu’à 6 mois et plus si on le souhaite, comme le recommande le Programme national nutrition santé (PNNS).
Enquête Epifane 2021
Elle a porté sur 3 534 mères sélectionnées parmi celles ayant participé au recueil à deux mois de l’accouchement, de l’Enquête nationale périnatale (ENP-2021) en France hexagonale. Ces premiers résultats décrivent l’alimentation des nourrissons et leurs évolutions depuis la première édition d’Épifane en 2012.
Une progression du taux d’allaitement comparée à l’enquête précédente
Le taux d’initiation de l’allaitement maternel (AM) à la maternité a progressé de 74 % en 2012 à 77 % en 2021, avec une durée médiane qui a favorablement évolué, de 15 à 20 semaines sur cette période.
À l’âge de 6 mois, si moins d’un quart des nouveau-nés étaient encore allaités en 2012, plus du tiers l’était en 2021. À 3 jours, la moitié des enfants avait déjà consommé des préparations pour nourrissons (PN) du commerce, en 2021 comme en 2012.
La diversification alimentaire débutait dans la fenêtre recommandée de 4 à 6 mois pour 91 % des enfants en 2021 (versus 80 % en 2012).
Ces résultats et leurs évolutions entre 2012 et 2021 soulignent la nécessité d’accroître le soutien auprès des mères qui ont choisi d’allaiter et de mieux faire connaître les recommandations en matière d’alimentation du jeune enfant.
La plupart des pays européens ont des taux d’allaitement maternel supérieur à la France. L’allaitement maternel apparaît comme un véritable enjeu de santé publique.
L’initiative Hôpitaux amis des bébés
En 1991, l’OMS et l’UNICEF lancent « the Baby Friendly Hospital Initiative » (BFHI) ou “l’Initiative Hôpital Ami des bébés” (IHAB). Si à l’origine, le programme IHAB a été lancé pour promouvoir l’allaitement maternel. Il a évolué depuis son lancement, avec comme objectifs, au-delà du soutien à l’allaitement, un programme de soins centrés sur l’enfant et sa famille.
Ce programme international, destiné aux professionnels de santé, repose sur 12 recommandations basées sur des connaissances scientifiques.
L’OMS et l’UNICEF gèrent le programme BFHI à l’échelle internationale. Chaque pays est en charge d’appliquer le programme IHAB et d’organiser une coordination. Des adaptations tenant compte des spécificités nationales sont mises en œuvre. Ainsi, cette initiative a prouvé son efficacité dans plusieurs pays dont Israël, le Royaume-Uni et les États-Unis mis en œuvre dans des contextes différents.
A ce jour, plus de 20 000 maternités dans 150 pays ont obtenu la labellisation IHAB.
En France, la première maternité IHAB a été labellisée en 2000. En juin 2024, la France comptait 72 maternités labellisées (sur 456 maternités), ce qui représente environ 15% des naissances.
Santé publique France, au travers de son programme 1000 premiers jours, soutient le label IHAB.
En savoir plus :
- Autres articles cités :
1. Salanave B, de Launay C, Guerrisi C, Castetbon K. Breastfeeding rates in maternity units and at 1 month. Results from the EPIFANE survey, France, 2012. Bull Epidémiol Hebd 2012; 34:383–87.
2. Oliver-Roig A, Rico-Juan JR, Richart MM, Cabrero GJ. Predicting exclusive breastfeeding in maternity wards using machine learning techniques. Comput Methods Programs Biomed 2022;221:106837.
3. Silva LAT, de Oliveira MIC, da Costa ACC, Morais Dos Santos SF, da Gama SGN, Fonseca VM. Factors associated with infant formula supplementation in Brazilian hospitals: a cross-sectional study. J Pediatr (Rio J) 2022;98:463–70.
4. Robert E, Michaud-Letourneau I, Dramaix-Wilmet M, Swennen B, Devlieger R. A comparison of exclusive breastfeeding in Belgian maternity facilities with and without Baby Friendly Hospital status. Matern Child Nutr 2019;15:e12845.