Cette crise sanitaire d’ampleur inédite n’a pas frappé de la même façon la population en France, selon le niveau socio-économique, l’origine géographique, le genre ou la classe d’âge. Les enseignements de cette période plaident pour des politiques publiques de santé, plus protectrices et inclusives.
La dimension sociale de la crise sanitaire : inégalités aggravées par la pandémie de Covid-19
Cinq ans après l’irruption de la pandémie de Covid-19, l’ambition de ce numéro de La Santé en action est d’éclairer la dimension sociale de la crise sanitaire. De nombreuses études scientifiques, sur lesquelles reviennent plusieurs articles, montrent combien celle-ci a accentué les inégalités de conditions de vie et de travail entre les catégories sociales, les territoires, les femmes et les hommes, les classes d’âge, etc. Ainsi, la première vague du printemps 2020 a été plus meurtrière pour les immigrés, alors qu’habituellement leur mortalité est plus basse que celle de la population du pays d’accueil. Dans les zones d’habitation socialement défavorisées et densément peuplées, l’incidence de l’infection était plus élevée alors que les taux de dépistage y étaient plus faibles.
Les enfants des « travailleurs essentiels » - nom donné aux boulangers, éboueurs, livreurs, aides à domicile, ouvriers de l’industrie agroalimentaire, etc - qui ont assuré le fonctionnement de la société pendant les confinements, ont plus souffert de détresse psychologique que ceux des cadres en télétravail. Les classes populaires ont davantage ressenti de troubles du sommeil et de symptômes anxieux ou dépressifs que les ménages aisés. Les femmes avaient un risque plus important que les hommes de contracter la Covid-19, non tant à cause de leur sexe biologique qu’en raison des positions qu’elles occupent dans la sphère professionnelle et domestique.
Faire le « dernier kilomètre » vers les populations vulnérables
Dans une deuxième partie, l'accent est mis sur les initiatives des acteurs de terrain visant à intégrer les personnes vulnérables, en situation de pauvreté ou d'exclusion, dans la stratégie de lutte contre l'épidémie. La ville de Grenoble a misé sur la participation des habitants, avec un « Comité citoyen Covid », où se sont exprimés inquiétudes et besoins – sur la précarité alimentaire de certaines familles, le délitement du lien social, la vaccination, etc.
A Marseille, une équipe de l’Hôpital Européen, composée d’infirmiers et de médiateurs en santé, a parcouru les quartiers pauvres pour dépister, recenser les cas-contacts, aider les personnes positives à respecter leur isolement, et vacciner. En Seine-Saint-Denis, la caisse primaire d’assurance maladie a expérimenté diverses formes d’ « aller vers » pour combler le déficit de vaccination dans ce territoire : appels téléphoniques des conseillers prévention aux assurés âgés et/ou bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire, installation de barnums au pied des tours, dans les zones prioritaires de la politique de la ville, et de Vacci’drive.
Ces « fenêtres » ouvertes à la faveur de la crise ne se sont pas toutes refermées. Aujourd’hui, à Marseille et en Seine-Saint-Denis, on capitalise sur ces expériences de médiation et d’ « aller vers » pour porter la prévention, qu’il s’agisse du dépistage de certains cancers ou des vaccinations classiques. Ceci pose les prémices de modes d’action pour lutter contre les inégalités de santé. Ils permettraient, ainsi que le formule un spécialiste de la santé publique dans ces pages, de « parcourir le dernier kilomètre » géographique, social et culturel (voire numérique, compte tenu de l’accès inégalitaire aux technologies de la communication) vers les personnes éloignées du système de soin et de la prévention.
Les jeunes, une population mise à mal
Enfin le dossier se penche sur les effets à court et moyen termes de la pandémie sur la santé des populations, autant physique que psychique. Si les confinements ne semblent pas avoir entravé le développement neurologique des enfants, des études montrent des difficultés de communication chez les nourrissons nés pendant la crise sanitaire ; et ce sont dans les familles modestes, confrontées à un quotidien difficile, que le stress maternel a le plus pesé sur les interactions parents-enfants.
Sans conteste, les adolescents ont payé un lourd tribut à la crise sanitaire, survenue à un âge crucial de leur vie, avec une santé mentale aujourd’hui dégradée. Un article revient sur l’expérimentation d’une application en ligne dont l’objectif est de donner aux jeunes des clés pour identifier des signes de difficultés psychologiques ou gérer des situations d’angoisse ; cet outil a été co-construit avec des adolescents, des parents et des enseignants de France, d’Allemagne, d’Espagne et de Roumanie.
La période Covid a aussi révélé la précarité alimentaire des étudiants, qui retentit sur leur santé psychique. Depuis des projets sont testées sur plusieurs campus, comme à l’Université de Bordeaux : pour les étudiants pauvres, la « sécurité sociale de l’alimentation » permet de manger plus sainement et de diminuer la charge mentale liée aux difficultés de se nourrir.
D’autre part, des inquiétudes se font jour sur une « dette de santé publique », qui toucherait notamment les plus de 45 ans ; elle est la conséquence du sous-recours aux soins pendant que les établissements hospitaliers étaient submergés par les patients gravement atteints par le SARS-CoV-2 et peine à se résorber.