Santé publique France publie les résultats d'une étude sur les travailleurs de la canne à sucre à La Réunion et leur exposition aux pesticides. C'est l'occasion pour l'agence de revenir sur les expositions des travailleurs agricoles au Chlordécone aux Antilles, aux dérivés arsenicaux en France métropolitaine et sur le lien entre exposition aux pesticides et maladie de Parkinson.Santé publique France va poursuivre ses travaux de documentation des expositions aux pesticides pour les principales cultures métropolitaines dont le blé, le maïs, les pommes de terre et la vigne. Son projet est de croiser les matrices culture exposition développées dans le programme Matphyto avec les informations recueillies dans la cohorte Coset MSA (cohorte d'affiliés à la Mutualité sociale agricole : salariés, exploitants, conjoints d'exploitant, aides familiaux) afin de caractériser d'une part les expositions aux pesticides des populations agricoles et d'étudier d'autre part les liens entre ces expositions et la survenue de pathologies chroniques (à latence longue) comme les cancers par exemple.
L'étude sur les travailleurs de la canne à sucre à La Réunion
Depuis des décennies, les travailleurs agricoles de la canne à sucre de La Réunion ont manipulé de nombreux pesticides. Les risques pour la santé des agriculteurs qui manipulent ces pesticides sont plus importants qu'en population générale du fait d'une exposition plus intense et plus fréquente via différentes tâches : préparation des bouillies, épandage, nettoyage du matériel utilisé, ré-entrées dans les champs traités, etc. La législation (interdiction de certains pesticides) et la prise en charge des pathologies associées évoluent au fil de la découverte d'effets sanitaires liées à ces produits chimiques.
Santé publique France s'est attelée avec son programme Matphyto-DOM à reconstituer cette exposition pour la canne à sucre à La Réunion sur la période allant de 1960 à 2014. Les résultats, rendus publics ce jour, montrent notamment que :
- 28 substances actives différentes ont été utilisées sur la canne à sucre dont 19 sont des désherbants comme le glyphosate. En 2010, dernière année de l'étude, 15 n'étaient plus autorisées sur le marché français.
- Entre 44 % (1981) et 88 % (2010) des travailleurs de la canne à sucre ont été exposés à au moins un pesticide cancérogène, pouvant avoir un effet sur la fertilité, la grossesse ou l'enfant à naître (reprotoxique) ou induisant une perturbation endocrinienne, soit un effectif de 6 300 à 10 000 personnes concernées sur la période étudiée.
- Les femmes représentent plus de 25% des travailleurs agricoles concernés par des expositions à des pesticides perturbateurs endocriniens et reprotoxique.
L'étude montre ainsi un important besoin d'actions de prévention ciblées pour restreindre sinon arrêter ces expositions aux pesticides avant le déclenchement de pathologies chroniques graves.
Le programme Matphyto appliqué à la France métropolitaine et aux DOM
Santé publique France a commencé par expérimenter le programme Matphyto en métropole, notamment sur l'utilisation des pesticides arsenicaux par les travailleurs viticoles, avant de l'adapter à trois départements d'outre-mer : les îles de Guadeloupe, Martinique et La Réunion.
En France métropolitaine, entre 60 000 et 100 000 travailleurs viticoles ont été exposés aux pesticides arsenicaux entre 1945 et 2001.
En métropole, Santé publique France, a mené une étude rétrospective (de 1945 à 2001) afin d'identifier les travailleurs viticoles (âge, sexe, temps de travail, etc.) exposés aux pesticides arsenicaux et connaître plus précisément leur nombre au moment où cette substance a été interdite parce que classée cancérigène avéré. En utilisant la matrice " vigne-pesticides arsenicaux " du programme Matphyto, croisée avec les données de divers recensements agricoles, cette étude a permis d'estimer que 20 à 35% des personnes présentes au sein des exploitations professionnelles viticoles étaient exposées à ces substances, soit, sur les périodes étudiées, entre 60 000 et 100 000 personnes exposées chaque année.
Aux Antilles, une grande majorité des travailleurs agricoles dans les bananeraies ont été exposés à la chlordécone.
Aux Antilles, Santé publique France a documenté rétrospectivement les expositions des travailleurs agricoles de la banane à tous les pesticides utilisés depuis 1960 et jusqu'à 2015 dans cette culture, dont la chlordécone. Matphyto-DOM a ainsi montré que la grande majorité des travailleurs agricoles dans les bananeraies antillaises ont été exposés à la chlordécone à l'époque où ce pesticide était utilisé (77% en 1989) et que les travailleurs actuels sont encore exposés à d'autres pesticides ayant des effets potentiellement nocifs pour la santé.
Maladie de Parkinson : une pathologie fréquente chez les agriculteurs
D'après une étude de Santé publique France, réalisée en collaboration avec l'Inserm et publiée en 2018, environ 1 800 nouveaux cas par an de maladies de Parkinson sont survenus chez les exploitants agricoles âgés de 55 ans et plus, ce qui correspond à une incidence de 13% plus élevée que chez les personnes affiliées aux autres régimes d'assurance maladie. L'incidence était un peu plus élevée parmi les personnes résidant dans les cantons les plus agricoles, y compris parmi les personnes qui ne travaillent pas dans l'agriculture, et notamment dans ceux où la proportion de terres agricoles allouées à la viticulture est la plus importante.
La méthode de Santé publique France pour reconstituer les expositions professionnelles aux pesticides
L'évaluation rétrospective des expositions aux pesticides est indispensable aux études épidémiologiques. Elle est nécessaire pour comprendre et établir des liens entre les activités des agriculteurs tout le long de la carrière et la survenue possible de maladies comme les cancers ou les maladies neurodégénératives, dont le délai de latence entre l'exposition et l'apparition de la maladie peut être de 40 ans. En France, les données sur les usages actuels ou passés de pesticides en milieu agricole sont parcellaires. Dresser l'historique des expositions professionnelles est délicat à cause de la diversité et de l'évolution des produits utilisés dans le temps ainsi que de la grande hétérogénéité des activités agricoles sur le territoire français (blé, maïs, pomme de terre, vignobles en métropole, banane aux Antilles, canne à sucre à La Réunion, etc.). C'est pour combler ce besoin que Santé publique France développe le programme Matphyto.
Cet outil permet de reconstituer ces expositions grâce à des " matrices cultures-expositions " (MCE). Chaque " matrice " dresse la liste pour une culture donnée de l'ensemble des pesticides (détaillés par familles chimiques et matières actives spécifiques) susceptibles d'avoir été utilisés. L'agence croise ensuite ces matrices avec la base CIPA-Tox qu'elle a réalisée pour recenser les effets sur la santé connus ou suspectés d'être associés à une exposition chronique à chaque substance active des pesticides homologués en France depuis 1961. Enfin elle utilise des données du recensement agricole pour calculer le nombre de travailleurs agricoles en contact sur une période donnée avec certains pesticides identifiés comme néfaste pour la santé.
Les calculs sont affinés, par région, âge et sexe, ce qui permet d'identifier des caractères socio démographiques et leur évolution au cours du temps.
Les travaux issus de Matphyto permettent d'identifier l'ensemble des pesticides utilisés sur une culture, de caractériser leurs effets potentiels sur la santé et de dénombrer les populations de travailleurs exposés. Ils ont pour but d'estimer, afin de les prévenir au mieux, les expositions des agriculteurs aux principales matières actives.
Les études à venir
Dans le monde agricole
En population générale
Par ailleurs, deux études sont en cours pour évaluer les retombées des expositions des pesticides sur la santé des populations riveraines de zones agricoles :
- Une étude épidémiologique nationale (Géocap Agri), en partenariat avec l'Inserm, permettra d'estimer si les cancers pédiatriques sont plus fréquents chez les populations vivant près de certaines cultures agricoles. Les résultats sont attendus en 2020 ,
- Une étude d'imprégnation multi-sites chez des riverains de zones cultures agricoles (prélèvements chez 1 400 personnes exposées et 700 personnes non exposées) couplée à des mesures environnementales de l'air (intérieur et extérieur) et des poussières des lieux de vie, en partenariat avec l'Anses.
Pour en savoir plus/Études et données de Santé publique France
Rapport et synthèse " Évaluation des expositions professionnelles aux pesticides utilisés dans la culture de la canne à sucre à l'île de La Réunion et de leurs effets sanitaires "
L'exposition du monde agricole aux pesticides - Actu du 22 février 2018
Santé des agriculteurs : risques et expositions professionnelles/La cohorte Coset-MSA - Actu du 22 février 2018
Le chlordécone, cas particulier de l'outre-mer - Actu du 22 février 2018