A compter du premier cas d'infection par le SARS-CoV-2 détecté en France fin janvier 2020, la progression de l’épidémie a initialement été surveillée par le nombre de nouveaux cas confirmés. La définition de cas, restreinte aux formes symptomatiques et le plus souvent avec un critère de sévérité de la maladie COVID-19, et la capacité de confirmation biologique alors très limitée, ne permettaient pas de mesurer le nombre total de personnes infectées qui est un paramètre essentiel à la compréhension de la dynamique épidémique.
Pour quantifier la proportion de la population française infectée par le SARS-CoV-2, Santé publique France a mis en place, en collaboration avec le Centre national de référence des infections respiratoires à l’Institut Pasteur, une étude de séroprévalence nationale dès mars 2020. Dès lors que les sujets infectés - y compris ceux qui ne présentent pas de symptômes - développent une réponse immunitaire, la présence d’anticorps spécifiques du SARS-CoV-2 permet de mesurer l’incidence cumulée de l’infection. De plus la mise en évidence d’anticorps neutralisants permet d’apprécier la part de la population ayant acquis une immunité potentiellement protectrice.
Pour évaluer la présence de ces anticorps dans l’ensemble de la population au fur et à mesure de la progression de l’épidémie, les auteurs ont analysé des échantillons successifs de sérums prélevés pour des examens biologiques de routine par les deux plus importants laboratoires d’analyse médicale en France.
Les premiers résultats correspondant à trois périodes de collectes d’échantillons situées avant, pendant et après le premier confinement national du 17 mars au 11 mai 2020 ont été communiqués dans les points épidémiologiques hebdomadaires de Santé publique France et sont aujourd’hui publiés* dans la revue scientifique Nature Communications.
3 questions à Stéphane Le Vu et Gabrielle Jones, Santé publique France
L’étude nous révèle que la circulation était restée faible jusqu’en début mars 2020 avec un niveau de prévalence de l’infection globalement inférieur à 1%. La progression a ensuite été très importante au mois de mars 2020 avec une prévalence qui atteignait environ 4% de la population début avril. Notre troisième mesure à environ 5%, correspondant au cumul des infections jusqu’en début mai 2020, montre l’effet de ralentissement dû au premier confinement.
Le risque d’infection ne semble pas différer selon le sexe et nous observons un niveau de prévalence relativement homogène selon les âges, à l’exception des enfants de moins de dix ans qui sont significativement moins touchés que le reste de la population. Ce résultat chez les enfants est venu confirmer que la susceptibilité ou la transmissibilité des jeunes enfants sont moins importantes pour le SARS-CoV-2 que pour la grippe pandémique par exemple.
Tout au long de cette première vague épidémique de 2020, les régions les plus touchées étaient l’Ile-de-France et la région Grand-Est où les premiers cas et clusters importants ont été détectés en métropole. Nous avons également observé un résultat plus inattendu avec un fort niveau de prévalence en Guyane dès mai 2020, alors que les autres indicateurs de surveillance tels que les hospitalisations ou les décès pour COVID-19 n’ont eu d’augmentation visible qu’à partir de juillet 2020. Nous l’expliquons par la structure d’âge particulièrement jeune de cette région. Puisque les jeunes sont moins à risque de développer des formes sévères, il faut un niveau plus important de prévalence pour commencer à observer les conséquences de la maladie dans les indicateurs hospitaliers.
Le fait d’estimer la proportion de la population qui a été infectée depuis le début de l’épidémie nous permet de calculer des taux de létalité en rapportant le nombre de décès recensés aux périodes correspondantes au nombre de personnes infectées. De même nous pouvons calculer un risque d’hospitalisation par une personne infectée. Dans les deux cas, nous avons observé un risque croissant exponentiellement avec l’âge.
Nous avons également estimé que seule 1 infection sur 24 était comptabilisée comme cas confirmé par la surveillance épidémiologique pendant la période étudiée (mars à mai 2020). Ce différentiel étant expliqué par la définition de cas restrictive, la difficulté d’accès au test diagnostique et l’absence de dépistage systématique dans cette première partie de l’année 2020.
Enfin, en l’absence de vaccin durant l’année 2020, il était crucial de quantifier la part de la population potentiellement immunisée par une infection passée. Nous avons estimé qu’environ 2,3 millions de personnes infectées jusqu’en mai 2020 avaient une réponse neutralisante indiquant une protection potentielle contre le virus1. Ce chiffre étant bien sûr insuffisant pour espérer un effet d’immunité de groupe et éviter la poursuite de la diffusion après cette première vague.
La surveillance sérologique s’est poursuivie après la première vague avec deux mesures encadrant la deuxième vague épidémique. Les résultats ont été communiqués dans le point épidémiologique hebdomadaire et montraient une lente progression de la prévalence à 9% en octobre 2020 et 13% en février 2021 (consulter l'ensemble de nos points épidémiologiques). Nous prévoyons de continuer à mesurer périodiquement le niveau de prévalence et d’immunité2 de la population française en 2021, en prenant en compte la montée en charge de la vaccination, le potentiel déclin des anticorps, et la diversité des souches circulantes.
En savoir plus
* Stéphane Le Vu, Gabrielle Jones, François Anna, Thierry Rose, Jean-Baptiste Richard,
Sibylle Bernard-Stoecklin, et al. Prevalence of SARS-CoV-2 antibodies in France: results from nationwide serological surveillance. Nature Communications, 2021, 12:3025. https://doi.org/10.1038/s41467-021-23233-6
1 Protection contre la souche Wuhan circulant alors.
2 Les études de séroprévalence ne traduisent que l’immunité humorale, à savoir dans le cas précis de cette étude les IgG. Elles n’apportent pas de connaissances sur l’immunité cellulaire générée en réponse à l’infection par le SARS-CoV-2.