Un des objectifs du 3e Plan santé travail est d'impulser la biosurveillance des expositions professionnelles (encore appelée surveillance biologique) comme levier d'amélioration de la prévention des risques chimiques. La centralisation au niveau national des données recueillies au sein des services de santé au travail pourrait permettre de disposer d'un outil de surveillance de la population des travailleurs exposés dans une perspective de prévention. Une des étapes préalables à cela est de disposer d'un état des lieux de l'activité de biosurveillance des expositions professionnelles (BS-pro), afin de comprendre son organisation et d'en apprécier a priori sa validité, ses contraintes et sa faisabilité. Méthode SpFrance a conduit une enquête par interviews auprès d'une quarantaine de personnes de services de santé au travail (SST), de laboratoires et de personnes expertes en toxicologie et biométrologie des expositions professionnelles. Les interviews étaient réalisées à l'aide d'une grille d'entretien relevant des informations sur leur vision des risques chimiques en entreprise, sur l'activité de surveillance biologique des expositions professionnelles et sur les avantages, freins, craintes, opportunités, leviers d'une centralisation de ces données. Ce panel de profils variés, tant les experts, les laboratoires (privés/publics) que les SST (tailles, secteurs d'activités couverts, type (interentreprises, autonomes, de prévention), répartition géographique), laisse à penser que les informations collectées reflètent assez bien la réalité du terrain. Les résultats de cette enquête ont été soumis au groupe de travail du PST-3 sur la BS-pro pour proposer d'éventuelles préconisations pour la biosurveillance des expositions professionnelles. Résultats et discussion Les risques chimiques en entreprise sont encore souvent sous-évalués, en particulier dans les petites entreprises. Les grandes entreprises connaissent en général le catalogue des substances présentes, mais méconnaissent les personnes exposées et leur historique d'exposition. Le document unique d'évaluation des risques professionnels et la fiche d'entreprise pour évaluer les risques chimiques sont le plus souvent mal renseignés et ceci davantage dans les petites entreprises. Il y a peu de données au poste de travail, d'autant plus que la fiche d'exposition n'existe plus. Les grandes entreprises, avec un budget suffisant et une équipe HSE, peuvent mettre en place un suivi temporel via des campagnes de biosurveillance continues ou périodiques. En revanche les petites entreprises ont plus de difficultés à organiser les suivis sur le long terme. La prise en compte des risques chimiques est variable selon le type de SST (SSTI, SSTA, SST de médecine de prévention). La traçabilité des expositions antérieures n'est pas bonne et cette perte d'information est d'autant plus marquée depuis la disparition de la fiche d'exposition du salarié. Malgré l'intérêt porté à la BS-pro par les personnes interrogées, celle-ci reste d'un usage marginal dans les pratiques du médecin du travail (MT) au regard des expositions chimiques des travailleurs en France. Le rôle de chaque acteur est très variable selon les SST. Néanmoins, l'importance du binôme MT- infirmière en santé travail (Idest) est à souligner. L'aspect réglementaire joue de façon importante dans cette activité (plombémie, CMR, substances avec VLEP). Les recommandations de bonnes pratiques de la surveillance biologique des expositions professionnelles (SBEP), émises en 2016 par la Société française de médecine du travail, sont méconnues par plusieurs SST interrogés et peu de laboratoires les connaissent. La fiche de renseignements médico-professionnels (FRMP), qui doit accompagner le prélèvement biologique, n'est pas toujours présente, ou remplie de façon complète par les SST ; elle n'est pas toujours exigée ou prise en compte par les laboratoires. Le manque d'informatisation, de standardisation et d'interopérabilité des données de BS-pro au niveau des SST ne permet pas une vision globale de l'exposition chimique des travailleurs par emploi, substance, région, ni au niveau national (papier ou scan encore privilégié à ce jour). Par ailleurs, il y a peu de traitement des données statistiques de la BS-pro au sein des SST. Hormis le plomb, environ la moitié de l'ensemble des dosages annuels réalisés concerne des biomarqueurs de métaux, l'autre moitié étant constituée par des biomarqueurs des HAP, des solvants (surtout BTEX, benzène, toluène, éthylbenzène, xylène) et des pesticides, avec majoritairement des dosages urinaires (1/4 de dosages sanguins). La liste des laboratoires d'analyse de biomarqueurs est disponible dans la base de données Biotox de l'INRS (www.inrs.fr/biotox). Cependant en réalité, on ne compte que quelques grands laboratoires impliqués dans la plupart des dosages de BS-pro (hors dosage des plombémies), avec l'un d'eux particulièrement prédominant en termes de volume. Le nombre limité de valeurs limites biologiques françaises constitue un frein au regard de la difficulté à interpréter les résultats de la BS-pro. Hormis les valeurs biologiques d'interprétation (VLB Anses et VBR SpF), plusieurs SST souhaiteraient pouvoir comparer leurs dosages de biomarqueurs à des données nationales. Or, elles n'existent pas en milieu professionnel par secteur d'activité pour pouvoir mettre en perspective les résultats. L'approche populationnelle de la BS-pro, particulièrement utile pour la prévention, est actuellement quasi inexistante en France, hormis lors de campagnes de mesure dans certaines entreprises. Le médecin du travail exerce cette activité le plus généralement au niveau individuel. Un des freins majeurs évoqué concernant la BS-pro est le manque de temps. Tous les SST et experts interrogés soulignent la nécessité d'un soutien administratif, organisationnel et d'un temps dédié à la BS-pro. La mise en oeuvre de la BS, l'interprétation et la restitution des résultats peuvent être grandement facilitées par l'aide de référents en toxicologie et biométrologie, qui restent encore trop peu nombreux. Certains acteurs évoquent le coût, mais pour la majorité l'aspect financier n'est plus un frein (prise en charge par le SST et convention avec l'employeur). Un projet de centralisation des données de biométrologie pourrait être construit sur le principe du donnant-donnant : 1) recueil des données de BS-pro auprès des SST et laboratoires ; 2) mise à disposition interactive des résultats au niveau national selon divers critères (sociodémographiques, professionnels, etc.) ; 3) mise à disposition de façon centralisée de documents utiles à la BS-pro. La quasi-totalité des personnes interviewées sont favorables à cette perspective pour le service rendu pour les professionnels de santé au travail (ST). En particulier, la centralisation permet une vision globale, voire nationale de l'exposition à certains risques chimiques (mise en perspective des résultats), grâce à l'informatisation des données ; elle permet de sensibiliser aux risques chimiques encore sous-évalués et valorise les métiers de médecin et d'infirmière en ST. Elle peut faciliter l'organisation de la traçabilité des expositions des travailleurs. Les SST soulignent l'importance de la simplicité d'un tel dispositif et souhaitent un outil convivial, idéalement intégré dans les logiciels quotidiens utilisés en routine par les MT. La confidentialité des données a été évoquée, les entreprises ne souhaitant pas être repérées ni stigmatisées (anonymisation de la restitution des données). Un même format des données est nécessaire afin de permettre l'interopérabilité du dispositif. Pour la réussite de la BS-pro, il sera nécessaire de sensibiliser les acteurs et faire sa promotion en plus d'un aspect réglementaire : faire connaître, comprendre son fonctionnement et son utilité. À l'issue de cette enquête, huit préconisations ont été émises par le groupe de travail du PST-3 sur la BS- pro pour lui donner un cadre plus opérationnel et impulser cette pratique comme méthode à envisager à chaque fois que le MT fait face à des travailleurs exposés aux risques chimiques. Ces préconisations figurent dans la dernière partie du rapport.
Auteur : Fréry Nadine, El Yamani Mounia
Année de publication
: 2020
Pages : 60 p.
Collection : Études et enquêtes