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Une séropositivité anti-IgG chikungunya durable dans la population de Mayotte ne suffira pas à prévenir de futures épidémies : une étude de séroprévalence, 2019

Long lasting anti-IgG chikungunya seropositivity in the Mayotte population will not be enough to prevent future outbreaks: A seroprevalence study, 2019

Publié le 7 juillet 2023

Le chikungunya est une maladie arbovirale transmise par le moustiques Aedes, provoquant des arthralgies pouvant évoluer vers une arthrite chronique invalidante. Alors que la saison 2023 de la surveillance spécifique des maladies transmises par les moustiques dans l’hexagone vient de débuter (1er mai), un article paru ce mois-ci revient sur l’épidémie de chikungunya qui, en 2005-2006, a frappé Mayotte, et plus largement les îles de l’Océan Indien.

A Mayotte, département français ultramarin, un tiers de la population avait été touché soit environ 40 000 cas. A cette époque, une enquête sérologique visant à déterminer la prévalence des anticorps anti-chikungunya avait montré que le taux d’infection récente apprécié par la présence d’IgM était de 26 % en avril 2006 montrant l’introduction du virus chikungunya à Mayotte en 2005 ayant conduit à l’épidémie massive que l’île a connue en 2006.

Cette flambée épidémique avait mis à l'épreuve le système de veille sanitaire, le système de soins et l'organisation de la gestion de la crise. Elle avait montré l’urgence de renforcer les capacités de surveillance épidémiologique des maladies transmises par les moustiques et la prévention sur le plan local et régional. Le système de surveillance du chikungunya et de la dengue datant de 2006 a été complété en 2008 à Mayotte par le dépistage systématique des patients.

L’étude de séroprévalence1 qui vient de paraître dans la revue PLOS One [1] apporte des éléments déterminants pour anticiper les effets d’une nouvelle introduction du virus chikungunya sur ce territoire déjà très fragilisé.

Quel est, plus de dix ans après cette épidémie, le niveau de protection de la population contre l’infection à chikungunya ? Quels sont les facteurs sociodémographiques et les connaissances et l'attitude à l'égard de la prévention des maladies transmises par les moustiques ?

3 questions à Giusepina Ortu, EPIET, Direction des Maladies Infectieuses, Santé publique France et Harold Noël, Direction des Maladies Infectieuses, Santé publique France.

Photo_Giusepina_ORTU
Photo_Harold_NOEL

1- Cette étude a été réalisé dans le cadre d’une formation EPIET

Pourquoi mener cette étude de séroprévalence 10 ans après celle de 2006 ? Quelle a été votre démarche pour mesurer l’immunité globale de la population contre le chikungunya et identifier les personnes les moins protégées vis-à-vis du risque d’infection ?

L’épidémie de 2006 a été un évènement sanitaire majeur pendant lequel, d’après Sissoko et al, 37% des habitants de Mayotte ont été infectées par le virus chikungunya à l’occasion de piqûre de moustique, principalement le moustique tigre Aedes albopictus. Notre étude s’appuie sur l’échantillon représentatif de la population mahoraise de l’enquête de santé Unono Wa Maore de décembre 2018 à juin 2019. Elle a pour but de documenter le risque de survenue d’une nouvelle épidémie après plus de 10 ans de circulation faible ou absente du virus du chikungunya.

Nous avons ainsi pu estimer la proportion d’habitants de Mayotte porteuse des anticorps dirigés contre le virus du chikungunya grâce aux analyses sérologiques du Centre National de Référence des Arbovirus de Marseille-IHU Méditerranée sur les prélèvements sanguins d’environ 2800 participants de l’enquête « Unono wa Maore » âgés plus de 15 ans.

En effet, les données d’essais vaccinaux, l’épidémiologie du chikungunya et les données d’expérimentation animale suggèrent que la guérison d’un chikungunya confère une protection durable, voire à vie, contre les réinfections. Aussi, cette proportion de personnes protégées confère à l’ensemble de la population mahoraise un niveau d’immunité collective qui, si elle est de niveau au moins égale à 2006, est susceptible d’empêcher des épidémies d’ampleur lors d’introduction de virus d’Afrique ou d’Asie. Cependant, cette immunité collective est affectée par la dynamique de la démographie de Mayotte où, notamment, les 10 000 naissances annuelles représentent autant de personnes sans aucune protection vis-à-vis du virus.

Vous mettez en évidence une immunité contre l’infection au chikungunya avec de fortes inégalités vis-à-vis de ce risque ? Quels sont les principaux résultats à retenir ?

Notre étude suggère qu’avec une séroprévalence du chikungunya de 34,75% le niveau de protection vis-à-vis du virus chikungunya resterait relativement conservé en 2019 chez les habitants de Mayotte âgés de 15 ans. Toutefois, sachant que 44% de la population de Mayotte est âgée de moins de 15 ans, seuls 20% de la population totale auraient déjà rencontré le virus. Une épidémie pourrait donc facilement se déclarer en cas d’introduction du virus du chikungunya. 

En croisant nos résultats de séroprévalence avec les données d’« Unono wa Maore »,, nous avons pu mettre en évidence un lien fort entre l’exposition au chikungunya et les déterminants sociaux de santé et les conditions de vie. En particulier, le risque d’exposition augmente avec un niveau d’éducation plus faible, un habitat précaire, l’absence d’accès à l’eau potable ou à des toilettes dans son domicile. Ces derniers facteurs font écho à la situation sanitaire délicate de Mayotte, aggravée actuellement par la pénurie d’eau que connaît l’île et les difficultés sociales et économiques.

Dans la perspective de futures épidémies et en l’absence de vaccin commercialisé, quelles sont les mesures à mettre en œuvre pour éviter que l’île ne vive une situation similaire à celle de 2006 ?

Devant ce recul de l’immunité collective à Mayotte, il importe de gagner autant de temps que possible pour le développement de vaccins efficaces, solution durable pour prévenir les épidémies. Il faudra également engager la population de Mayotte dans la lutte anti-vectorielle en réduisant les gîtes de larves de moustiques présents dans et autour de leurs domiciles (collecte d’eau dans des coupelles, déchets, etc.).  Il est important que l’ARS et la Cellule régionale de Santé publique France à Mayotte maintiennent un niveau de sensibilité élevée de la surveillance épidémiologique des arboviroses afin de détecter le plus précocement possible toute introduction de ces virus afin de contrôler tout début de transmission locale du virus par des actions de démoustication.

L’enquête Unono wa Maore

Visuel illustratif

Santé publique France a mis en place en 2018 une enquête en population générale (« À propos du Mahorais ») pour évaluer les besoins de santé de la population et mettre en place une prévention adaptée et des campagnes de promotion de la santé. Des échantillons de sang avaient été prélevés et disponibles pour une série d'analyses. 

Cette enquête a donné l’opportunité d'évaluer la séroprévalence de diverses infections à arbovirus, dont le CHIKV. Parallèlement à la collecte de ces échantillons, ont été recueillies des données sociodémographiques, et des informations sur les attitudes et les pratiques en matière de prévention des maladies à transmission vectorielle.

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A Mayotte :

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