Surveillance épidémiologique et épidémies de maladies infectieuses lors des grands rassemblements sportifs internationaux d’été : une revue narrative

Epidemiological surveillance and infectious disease outbreaks during mass international summertime sports gatherings: A narrative review

Publié le 14 août 2024

L’accueil d’un grand nombre de spectateurs venus du monde entier lors de grands rassemblements qu’ils soient sportifs, culturels ou religieux, accentuent les défis opérationnels et scientifiques des parties prenantes en charge de surveillance et de la réponse aux risques épidémiques. L’augmentation de la densité de population et l’encombrement des transports publics ne sont que quelques-unes des situations à gérer.

Dans le cas des Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024 (JOP 2024) qui se déroulent actuellement, plus de 4 millions de spectateurs sont attendus avec une forte activité à Paris et plus largement en Île-de-France (ÎdF) qui accueille la grande majorité des manifestations, participants et spectateurs. Les autres manifestations sont réparties sur 6 autres régions [Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), Auvergne-Rhône-Alpes (ARA), Haut-de-France (HdF), Pays-de-Loire (PdL), Nouvelle-Aquitaine (NA) et Centre-Val de Loire (CVL)]. La région Île-de-France accueillera la totalité des manifestations sportives des Jeux Paralympiques, à l’exception de la compétition de tir sportif qui aura lieu en Centre-Val de Loire. 

L’article paru récemment dans la revue Infectious Disease Now analyse, à travers une revue narrative de la littérature, les risques infectieux survenus à l’occasion de grands rassemblements sportifs organisés dans le monde au cours des 30 dernières années. L’objectif était d’anticiper et de préparer la surveillance à mettre en place ou à renforcer dans la perspective des JOP 2024 afin de détecter et d’aider à la gestion les épidémies si elles devaient survenir pendant cette période. Les résultats de la revue contribuent au rationnel qui sous-tend le choix du dispositif renforcé de surveillance mis en place par Santé publique France à cette occasion (voir encadré – Surveillance renforcée lors de JOP 2024).

3 questions à Yves Gallien et Nelly Fournet, Cellule régionale Île-de-France, Direction des Régions, Santé publique France

Portrait d'Yves Gallien
Portrait de Nelly Fournet

Quels sont les évènements de santé que vous aviez identifiés dans votre revue de la littérature ? Quel bilan apporte-t-elle sur les risques infectieux lors de grands évènement sportifs ?

Ce travail sur les grands rassemblements a été initié en 2021 par l’équipe de Santé publique France en Île-de-France et portait sur l’ensemble des risques décrits lors des grands rassemblements, de quelque nature que ce soit. Cette revue de la littérature a été partagée avec les partenaires et les autorités de santé au début de l’année 2022 pour étayer la cartographie des risques en vue de la préparation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Elle a été réactualisée en 2023 en coopération avec la Direction des maladies infectieuses de Santé publique France afin de cibler les risques infectieux lors des grands rassemblements sportifs en période estivale. L’objectif était de mieux identifier les défis posés par les JOP 2024. 

Ce bilan exhaustif confirme que des cas de maladies infectieuses sont bien sûr décrits pendant les grands rassemblements sportifs estivaux. Pourquoi ne le seraient-ils pas puisqu’ils le sont chaque été en absence de tout rassemblements :  toxi-infections alimentaires collectives, viroses, légionelloses, méningites, et désormais* quelques cas autochtones d’arboviroses (dengue, Chikungunya). Cependant, ce bilan confirme aussi qu’aucune épidémie qui n’était établie avant ces rassemblements n’a eu lieu. Ce fut notamment le cas pour le Zika lors des Jeux Olympiques et Paralympiques de Rio en 2016, les méningites ou la rougeole lors de la FIFA 2010 en Afrique du Sud ou la Covid-19 pendant la coupe de l’UEFA au Royaume-Uni et en Italie en 2020. En résumé, des cas surviennent pendant les grands rassemblements sportifs estivaux, sans toutefois présenter un sur-risque majeur de santé publique pour les athlètes, les spectateurs et la population en général. Ceci est d’autant plus vrai dans les villes, comme Paris notamment, qui accueillent, chaque année, des millions de touristes.

Comment expliquez-vous ces résultats ? Quels sont les autres risques (non infectieux) qui ont été identifiés dans le cadre de votre revue de littérature ou auxquels il faut se préparer dans le contexte actuel des JOP 2024 et future de grands rassemblement estivaux ?

La revue publiée portait sur les seuls risques infectieux, susceptibles d’entraîner des épidémies. Point important : les spectateurs sont présents dans les stades et dans le périmètre des Jeux pendant des durées assez courtes, plus courtes notamment que les périodes d’incubation de la plupart des pathogènes. Ces participants n’ont donc pas le temps de contribuer de manière importante à la circulation des pathogènes ou au risque épidémique dans une zone et une période donnée. Il convient donc de se préparer aux risques infectieux estivaux habituels cités plus haut, même si le nombre accru de visiteurs peut soulever des difficultés en termes de gestion par les ARS et d’interprétation des indicateurs par Santé publique France. D’où l’intérêt de documenter aussi finement que possible le nombre de personnes présentes en temps réel en un lieu et sur un site donné. Les données de téléphonie, par exemple, d’ores et déjà utilisées en France dans des travaux de modélisation, pourraient être collectées à cette fin. Disposer de ces données fines permettra alors d’avoir une idée plus exacte du nombre de personnes présentes (dénominateurs dits populationnels) lors de l’évaluation des données ou des risques. 

Autres risques sanitaires à mentionner et identifiés lors de revue initiale de 2021 (non publiée) -  ceux observés pendant les pics ou épisodes persistants de chaleur et a fortiori en cas de canicule. Cela a été observé lors des Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996 ou de Tokyo en 2021. Ces phénomènes, de plus en plus fréquents en été y compris sous nos latitudes, peuvent avoir un impact rapide et massif sur les athlètes, sur les participants et la population générale. 
Rappelons que la Système d’Alerte canicule et santé (SACS) mis en place, en France après l’été 2023, sur l’ensemble du territoire métropolitain et coordonné par Santé publique France, en lien avec Météo-France, est activé entre le 1er juin et le 30 septembre. Son objectif est de mesurer l’impact sanitaire de la chaleur sur la population et d’apporter des éléments d’aide à la décision aux autorités.

Quelles sont les leçons à tirer de votre étude en termes de préparation et d’anticipation des crises sanitaires pour de futurs grands rassemblements ?Quelles sont les leçons à tirer de votre étude en termes de préparation et d’anticipation des crises sanitaires pour de futurs grands rassemblements ?

L’expérience des grands rassemblements existe depuis de longues années à Santé publique France (Turin 2006, célébrations du débarquement 2014, COP21 2015 en Île-de-France, Grande Armada 2023, etc.). Elle va continuer à se développer et devra être guidée par des impératifs épidémiologiques. Nous avons pu, avec l’ensemble des collègues de Santé publique France, faire un galop d’essai pendant la Coupe du Monde de Rugby 2023 et tester certains indicateurs** pendant la Grande Armada de Rouen. 
La grande leçon de la surveillance de ces récents grands rassemblements, qui exige une forte mobilisation des équipes, est l’importance d’anticiper les besoins en termes d’effectifs. En effet, cette mobilisation s’ajoute à la mobilisation spécifique à chacun dans le cadre des autres missions de l’agence. 
La France dispose de nombreux professionnels impliqués dans la surveillance sanitaire que ce soit dans le cadre de surveillances dédiées ou encore la surveillance  quotidienne, tels que le système de surveillance syndromique Sursaud® ou la déclaration obligatoire (DO) des maladies ou les signalements de signaux sanitaires inhabituels. Les JOP 2024 ont été l’occasion de mettre en place de nouveaux systèmes de surveillance tels que l’exploitation des données de la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris (BSPP) ou des organisations de secouristes autour des stades, en lien avec Paris 2024. La surveillance (via la BSPP) permet de collecter les motifs de recours et du nombre de victimes pris en charge (Paris et départements 92, 93 et 94). Les données issues de ces surveillances sont publiées, chaque semaine, tout au long des JOP 2024 dans le bulletin JOP 2024 Île-de-France. La performance de ces nouveaux systèmes reste à évaluer avant de décider ou non de leur pérennisation. Santé publique France, qui coordonne le dispositif de surveillance microbiologique des eaux usées (SUM’EAU), a récemment réalisé une étude visant à identifier des agents pathogènes d’intérêt pour une surveillance dans les eaux usées en prévision des JOP 2024. (Voir Encadré – Opportunité de la surveillance des eaux usées lors de grands rassemblements).

L’autre leçon de la surveillance sanitaire en temps de grands rassemblements est la survenue inévitable de cas peu nombreux et n’engendrant pas de fardeau de santé publique, mais qui font l’objet de signalements. Ces derniers doivent, quel que soit le contexte, être investigués et infirmés ou confirmés afin de confirmer l’existence ou non d’un risque sanitaire, ce qui nécessite un peu de temps.

* 1er cas en PACA en 2010 et en Île-de-France en 2023

**Trauma, Difficultés respiratoires , Douleurs musculaires/articulaires et fièvre , Vomissements et/ou diarrhées , Douleur thoracique, Consommation alcool ou drogue , Céphalée et fièvre, Symptômes généraux (malaise, vertiges, évanouissement), Troubles liés à la chaleur, Irritation/Rougeur des yeux, Éruption cutanée, Noyade / chute dans rivière, Autre

Surveillance renforcée mise en place pendant les JOP 2024

Santé publique France a mis en œuvre sur toute la période des JOP 2024 un dispositif de surveillance renforcée, en collaboration avec ses partenaires. Il s’appuie sur les systèmes de surveillance existants qui seront renforcés pour s’adapter aux enjeux liés à ce type de manifestation. La surveillance concernera l’ensemble des populations présentes en France hexagonale du 8 juillet au 15 septembre 2024. 

Quels sont les principaux dispositifs de surveillance mobilisés pour les JOP 2024 ?

D’autres dispositifs de surveillance existants seront renforcés, comme la surveillance des noyades, des arboviroses ou encore de la pollution de l’air.

En complément, de nouveaux systèmes de surveillance ont été mis en place : 

  • une veille internationale des signaux infectieux avec l’appui de l’ECDC ;
  • une surveillance menée en partenariat avec la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris, le Samu et les dispositifs prévisionnels de secours. 

Les données issues de cette surveillance renforcée sont publiées, chaque semaine, dans le Bulletin hebdomadaire JOP 2024 national et les Bulletins JOP 2024 régionaux.

Opportunité de la surveillance des eaux usées lors de grands rassemblements

La surveillance des eaux usées est une approche utile pour surveiller la santé de la population comme en témoigne le dispositif national SUM’Eau (surveillance microbiologique des eaux usées) déployé en France à partir de 2022 à la suite de la pandémie de COVID-19. 
L’étude parue ce mois-ci dans la revue Eurosurveillance et réalisée avec l’INSPQ (Québec) et l’Anses, décrit un modèle qui a permis d’identifier des cibles de surveillance des eaux usées dans le contexte du grand rassemblement à l’occasion des JOP 2024.

Les étapes d’identification des agents pathogènes d’intérêt

L’identification des agents pathogènes d’intérêt pour la surveillance des eaux usées a été définie à partir d’une liste de 60 agents pathogènes pouvant présenter un enjeu de santé publique pendant les JOP. Chaque pathogène a ensuite été évalué en fonction de trois critères d’inclusion : (A) la faisabilité analytique de la mesure dans les eaux usées ; (B) la pertinence de suivre l’agent pathogène par rapport aux spécificités de l’événement et aux caractéristiques du pathogène ; et (C) la valeur ajoutée pour éclairer la prise de décision en matière de santé publique. 
La faisabilité analytique (A) a été évaluée sur la base de publications démontrant la détectabilité des agents pathogènes dans les eaux usées, ce qui a permis de réduire la liste initiale à 25 agents pathogènes. Les critères B et C ont ensuite été évalués à l’aide d’avis d’experts selon la méthode Delphi*. Le panel composé d’une trentaine d’experts a proposé cinq pathogènes supplémentaires répondant au critère A, soit un total de 30 pathogènes évalués tout au long des trois tours du questionnaire itératif. Le seuil de 70 % de consensus entre les experts a été défini a priori pour statuer sur l’inclusion des agents pathogènes. 

Six cibles prioritaires identifiées

Cette analyse a permis d’identifier six cibles prioritaires adaptées à la surveillance des eaux usées pendant les Jeux :  le poliovirus, le virus de la grippe A, le virus de la grippe B, le virus Monkeypox, le SARS-CoV-2 et le virus de la rougeole.
Ces cibles présentent un potentiel pour la surveillance des eaux usées à l’occasion de futurs grands rassemblements.

* La méthode Delphi est une technique de facilitation de groupe qui vise à obtenir un consensus à partir du recueil d’opinions d’experts sur un sujet donné, à travers une série de questionnaires anonymes et structurés.